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SCÈNE VIII.

LA COMTESSE.

Je suis au désespoir: je n'ai vu de ma vie
Tant de relâchement dans la galanterie.
Le marquis vient : il faut m'assurer un parti;
Et je n'en prétends pas avoir le démenti.

SCÈNE IX.

LE MARQUIS, LA COMTESSE.

LE MARQUIS.

A mon bonheur, enfin, madame, tout conspire : Vous êtes toute à moi.

Marquis?

LA COMTESSE.

Que voulez-vous donc dire,

LE MARQUIS.

Que mon amour n'a plus de concurrent;

Que je suis et serai votre seul conquérant ;
Que, si vous ne battez au plus tôt la chamade,
Il faudra vous résoudre à souffrir l'escalade.

LA COMTESSE.

Moi!

que l'on m'escalade?

LE MARQUIS.

Entre nous, sans façon,

A Valère de près j'ai serré le bouton :

Il m'a cédé les droits qu'il avoit sur votre ame.

LA COMTESSE.

Eh! le petit poltron!

LE MARQUIS.

Oh! palsambleu, madame,
Il seroit un Achille, un Pompée, un César,
Je vous le conduirois poings liés à mon char.
Il ne faut point avoir de mollesse en sa vie.
Je suis vert.

LA COMTESSE.

Dans le fond j'en ai l'ame ravie.

Vous ne connoissez pas, marquis, tout votre mal;
Vous avez à combattre encor plus d'un rival.

LE MARQUIS.

Le don de votre cœur couvre un peu trop de gloire, Pour n'être que le prix d'une seule victoire :

Vous n'avez qu'à nommer...

LA COMTESSE.

Non, non, je ne veux pas

Vous exposer sans cesse à de nouveaux combats.

LE MARQUIS,

Est-ce ce financier de noblesse mineure,

Qui s'est fait depuis peu gentilhomme en une heure Qui bâtit un palais sur lequel on a mis

Dans un grand marbre noir, en or,

L'hôtel Damis;
Lui qui voyoit jadis imprimé sur sa porte,
Bureau du pied fourché, chair salée et chair morte;
Qui dans mille portraits expose ses aïeux,

Son père, son grand-père, et les place en tous lieux,
En sa maison de ville, en celle de campagne,
Les fait venir tout droit des comtes de Champagne,
Et de ceux de Poitou, d'autant que, pour certain,
L'un s'appeloit Champagne, et l'autre Poitevin?

LA COMTESSE.

A vos transports jaloux un autre se dérobe.

LE MARQUIS.

C'est donc ce sénateur, cet Adonis de robe,
Ce docteur en soupers, qui se tait au palais,
Et sait sur des ragoûts prononcer des arrêts;
Qui juge sans appel, sur un vin de Champagne,
S'il est de Reims, du Clos, ou bien de la Montagne,
Qui, dé livres de droit toujours débarrassé,
Porte cuisine en poche, et poivre concassé?

LA COMTESSE.

Non, marquis, c'est Dorante; et j'ai su m'en défaire.
LE MARQUIS.

Quoi! Dorante! cet homme à maintien débonnaire,
Ce croquant, qu'à l'instant je viens de voir sortir?

C'est lui-même.

LA COMTESSE.

LE MARQUIS.

Eh! parbleu, vous deviez m'avertir,

Nous nous serions parlé sans sortir de la salle.

Je ne suis pas méchant; mais, sans bruit, sans scandale,
Sans lui donner le temps seulement de crier,
Pour lui votre fenêtre eût servi d'escalier.

LA COMTESSE.

Vous êtes turbulent. Si vous étiez plus sage,
On pourroit...

LE MARQUIS.

La sagesse est tout mon apanage.

LA COMTESSE.

Quoiqu'un engagement m'ait toujours fait horreur,
On auroit avec vous quelque affaire de cœur.

LE MARQUIS.

Ah parbleu, volontiers : vous me chatouillez l'ame.
Par affaire de cœur, qu'entendez-vous, Madame?

LA COMTESSE.

Ce que vous entendez vous-même; et je prétends Qu'un hymen bien scellé...

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Et ce n'est qu'en époux que je prétends vous plaire.

LA COMTESSE.

Je ne donne mon coeur que par-devant notaire. Je veux un bon contrat sur de bon parchemin, Et non pas un hymen qu'on rompt le lendemain.

LE MARQUIS.

Vous aimez chastement; je vous en félicite,
Et je me donne à vous avec tout mon mérite,
Quoique cent fois le jour on me mette à la main
Des partis à fixer un empereur romain.

LA COMTESSE

Je crois que nos deux cœurs seront toujours fidèles.

LE MARQUIS.

Oh! parbleu, nous vivrons comme deux tourterelles. Pour vous porter, madame, un cœur tout dégagé, Je vais dans ce moment signifier congé

A des beautés sans nombre à qui mon cœur renonce; Et vous aurez dans peu ma dernière réponse.

LA COMTESSE.

Adieu. Fasse le ciel, marquis, que dans ce jour
Un hymen soit le sceau d'un si parfait amour!

SCÈNE X.

LE MARQUIS.

En bien! marquis, tu vois, tout rit à ton mérite; rang, le cœur, le bien, tout pour toi sollicite ;

Le

Tu dois être content de toi par tout pays :
On le seroit à moins. Allons, saute, marquis.
Quel bonheur est le tien! Le ciel à ta naissance
Répandit sur tes jours sa plus douce influence;
Tu fus, je crois, pétri par les mains dé l'amour :
N'es-1
s-tu pas fait à peindre? est-il homme à la cour
Qui de la tête aux pieds porte meilleure mine,
Une jambe mieux faite, une taille plus finé?
Et pour l'esprit, parbleu, tu l'as des plus exquis:
Que te manque-t-il donc ? Allons, saute, marquis.
La nature, le ciel, l'amour, et la fortune,
De tes prospérités font leur cause commune;
Tu soutiens ta valeur avec mille hauts faits;
Tu chantes, danses, ris, mieux qu'on ne fit jamais :
Les yeux à fleur de tête, et les dents assez belles,
Jamais en ton chemin trouvas-tu de cruelles?
Près du sexe tu vins, tu vis, et tu vainquis;
Que ton sort est heureux!

SCÈNE X I.

HECTOR, LE MARQUIS.

LE MARQUIS.

ALLÓNS, saute, marquis.

HECTOR.

Attendez un moment. Quelle ardeur vous transporte! Eh quoi! monsieur, tout seul vous sautez de la sorte! LE MARQUIS..

C'est un pas de ballet que je veux repasser.

HECTOR.

Mon maître, qui me suit, vous les fera danser,

Monsieur, si vous voulez.

Regnard. I.

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