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CHAPITRE X L I.

Des Miniftres.

UOIQUE Louis XIV n'aimât point à changer de Miniftres, il s'y vit quelquefois forcé par les circonftances; elles font impérieuses chez les Souverains même les plus abfolus ; & c'cft une excellente leçon pour les convaincre de leur foibleffe. Il eft néceffaire que des Princes, à qui rien ne réfiile, fe trouvent quelquefois arrêtés par des événemens imprévus; fans cela, l'autorité ameneroit infenfiblement l'abus du pouvoir.

Malgré l'inconvénient des mutations, on peut dire que Louis XIV y gagna plus qu'il n'y perdit, excepté dans fa perfonne de Chamillart, fur le compte de qui Madame de Maintenon fut trom

pée. Elle crut pouvoir fe joindre à M. d'Armagnac pour le recommander au Roi, fe perfuadant qu'un Confeiller du Parlement, & Maître des Requêtes, étoit un homme intelligent.

Il fentit lui-même fon incapacité, de maniere qu'il pria Madame de Maintenon de vouloir bien le guider; & c'est à cette occafion qu'on vit courir dans le public des inftructions qu'elle donnoit à ce nouveau Miniftre.

Tout le royaume feroit encore fon éloge, s'il eût fu les mettre en pratique; on y reconnoît la prudence & la raifon d'une femme qui faifit le vrai, & qui ne laiffe rien échapper à ses regards: il femble qu'elle a vieilli dans le Miniftere, & que fes avis font le réfultat d'une justice diftributive qui s'étend fur toutes les parties du Gou

vernement.

Elle lui dit << qu'on ne doit employer fon autorité, que pour foulager le peuple; qu'on ne peut être trop difcret fur

l'article des dépenfes; qu'une économie raisonnable eft le moyen d'augmenter les tréfors de la couronne; que plus on a d'argent, plus on en diffipe; que fi un Roi eft le Pere de fes Sujets, un Contrôleur général en eft le Médecin; que les retranchemens doivent se faire avec grandeur. ....; qu'on eft obligé de toujours dire la vérité, même à son défavantage; que le défintéreffement d'un Miniftre eft ce qui lui fait le plus d'honneur; qu'il fe couvre d'opprobre quand il prend des voies tortueuses pour s'enrichir; que le public fe trompe rarement fur le jugement qu'il porte des gens en place; qu'on eft le plus méprifable des hommes quand on ne s'embarrasse pas de fon opinion....; que les protecteurs vendent ordinairement leurs fervices aux protégés, & qu'on doit s'en défier; que les impôts doivent être gardés pour la dernierereffource; que c'eft une affreufe corruption que la facilité avec laquelle

un Miniftre cede aux puiffantes recommandations....; qu'il n'y a que le mérite qui doit être protégé, & qu'on doit laiffer toutes les protections à l'écart pour l'aller chercher....; que c'est trafiquer le fang du peuple, que de difpofer à tort & à travers des revenus de l'Etat ; qu'il n'y a que ceux qui travaillent qui y ont droit; qu'on doit fe défier des hommes qui ne font heureux que par les calamités publiques, & qui ont des places qui ne rapportent aucun avantage que lorsque le peuple fouffre; qu'il eft honteux que les plus pauvres foient toujours le plus tarď payés; que la dureté dans un Miniftre eft une cruauté ; qu'un homme eft affez humilié d'aller s'abaiffer devant un autre homme, pour qu'on doive Paccueillir avec bonté, & répondre exactement aux lettres qu'il écrit ; d'autant plus que c'eft manquer aux bienféances, que de manquer à ce

devoir ».

Chamillart, malgré de fi beaux avis, qu'on devroit écrire en lettres d'or chez tous les Miniftres, ne confulta que fon orgueil & fa pufillanimité, & l'on ne vit pas fans émotion un homme de fortune, qui ne connoiffoit ni la finance ni la guerre, chargé de ce double département.

La méprise de Madame de Maintenon prouve qu'il n'y a perfonne qui n'ait des défauts & des torts

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& que nous ne prétendons point, en détaillant fes vertus, la donner pour infailfible. Il étoit impoffible qu'elle ne fût quelquefois la dupe de fon excellent cœur plus on a l'âme droite, moins on foupçonne le mal. Ce qui fait dire au célebre Nicole, qu'en écrivant la vie même des Saints, on devroit rapporter leurs défauts, pour ne pas décourager ceux qui gémiffent de leurs imperfections.

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