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le corps s'affoiblit & fe fatigue. La longueur de la veille occafionne une certaine ardeur de fièvre, l'acrimonie des humeurs, & entraîne après elle une espèce d'accablement. Aux approches de la nuit, on fent peu-à-peu un engourdiffement dans les muscles & dans leurs tendons, une inaptitude aux pensées férieuses & un amour pour le repos. Alors les forces s'abattent, les yeux fe ferment, la mâchoire inférieure eft pendante, & on fe trouve néceffité à bâiller: la tête s'incline en devant, l'action des objets extérieurs nous affecte moins, les idées fe troublent; il furvient une efpèce de délire, & le fommeil s'empare de nous les efprits épuifés coulent moins abondamment; & voilà la caufe de cet état d'inaction dans lequel nous tombons naturellement & journellement.

Il eft encore d'autres caufes qui peuvent produire le même effet, & procurer le fommeil. On doit ranger dans cette claffe tout ce qui diminue les forces. Ainfi les faignées copieufes, les pertes de fang, les remèdes rafraîchiffans, le pavot, le froid même de l'air extérieur, toutes ces chofes concourent à amener le fommeil. Il doit en être de même de tout ce qui détourne le fang de la tête, comme les bains de pieds, la grande quantité d'alimens renfermés dans l'eftomac.

Une cause contraire peut encore produire le même effet. De là, tout ce qui eft chaud tout ce qui oblige le fang à fe porter plus vîte & plus abondamment dans le cerveau, le vin, les liqueurs fermentées, &c., doivent

déterminer le fommeil. On doit dire la même chofe de tout ce qui arrête & embarraffe le retour du fang, comme il arrive dans le trop d'embonpoint, parce que les artères du cerveau, trop gorgées, compriment l'origine des nerfs, & ralentiffent, par ce moyen, la circulation du fluide nerveux.

On doit encore ranger, parmi les causes productrices du fommeil, quantité de causes méchaniques & étrangères, telles que toute compreffion quelconque, qui fe fait fentir au cerveau. D'où il paroît naturel de conclure que le fommeil peut être produit ou par un fimple défaut dans la quantité & dans la mobilité des efprits, ou par la compreffion des nerfs & toujours par l'affaiffement des tuyaux nerveux par lefquels le fluide nerveux fe diftribue dans toute l'habitude du corps.

La caufe des veilles paroît confirmer cette théorie. On remarque en effet que tout ce qui produit une abondance d'efprits, fur-tout les boiffons aromatiques chaudes, qui portent au cerveau des particules aiguillonnantes, fubtiles, & qui changent en peu le mouvement du fang dans le cerveau, corrompent le fang, & augmentent la fecrétion des efprits: toutes ces caufes, dis-je, éloignent du fommeil.

Les foins pénibles, les méditations attentives & paffionnées, les douleurs de tête, les inquiétudes, & généralement toutes les chofes qui affectent l'efprit & le retirent de l'état de repos, en s'opposant à l'affaissement des nerfs toutes ces chofes entretiennent encore la veille.

L'effet du fommeil eft de modérer tous les mouvemens du corps; & alors il n'y a plus que le cœur qui pouffe le fang & les humeurs. Tous les mouvemens des autres mufcles, des nerfs, des fenfations, produits par les paffions de l'ame & par la volonté, qui exiftent avec le mouvement du cœur pendant la veille, tout eft arrêté. Les pulfations même du cœur diminuent peu-à-peu; elles deviennent moins fréquentes & plus petites. Il en eft de même de la refpiration: tout fe ralentit dans la machine; l'action de l'eftomac, celle des intef tins, la marche des excrémens. De là les humeurs les plus ténues, les plus fubtiles font pouffées plus lentement: les humeurs pareffeufes s'accumulent; la fecrétion du fluide nerneux continue à fe faire, & ce fluide fe ramaffe peu-à-peu dans le cerveau; il s'y accumule dans les nerfs affaiffés: il les remplit, il les diftend; & au moindre aiguillon, les fens internes & externes fe rétabliffent dans leurs fonctions, & l'homme fe réveille.

Les fonges qui furviennent pendant le fommeil, quoiqu'affez habituels, ne font point un effet dépendant de cette fituation. Ils indiquent plutôt un certain dérangement, une caufe étrangère & irritante. Auffi obferve-t-on conftamment que les embarras, les idées, qui font une impreffion vive dans la mémoire, les alimens de difficile digeftion, leur quantité, la mauvaise fituation du corps, augmentent les fonges, & les rendent plus pénibles; & qu'on ne les éprouve point, lorfque, ces causes étant éloignées, le fommeil eft tranquille.

à

être propre

La durée du fommeil, pour l'effet que cet état doit produire, ne peut être fixée que d'une manière vague & générale. Elle dépend de l'âge, du tempérament, du fexe, de la faifon & des exercices auxquels on eft habitué. Toujours eft-il conftant que le fommeil ne doit point s'étendre au-delà de certaines bornes; s'il paffe ces limites, il nuit à la bonne conftitution du corps, & il en dérange les fonctions. Dans un fommeil trop long, la chaleur diminue, le fang devient plus féreux & chargé d'un grand nombre de parties excrémentitielles, qui devroient s'évacuer par les fecrétions : les mouvemens fe font avec moins de foupleffe, les organes des fens s'engourdiffent. On convient affez en général qu'un homme occupé de travaux méchaniques & purement corporels, n'a befoin que de fix heures de repos: mais qu'un Homme - de - Lettres, dont l'efprit eft continuellement tendu pendant la veille, a besoin d'un fommeil un peu plus long; & on lui accorde communément fept heures. On peut en accorder jufqu'à huit aux perfonnes extrê mement délicates.

Un trop long fommeil eft un état de maladie; fouvent il eft produit par d'extrêmes fatigues mais rarement, dans ces cas, : s'étendil au-delà de dix à douze heures. Il faut des caufes bien graves, & qu'on ne connoît point encore, pour que le fommeil fe prolonge plus long-tems. Auffi eft-il impoffible de rendre raifon de certains phénomènes, qu'on obferve rarement à la vérité. En voici un exemple

bien fingulier, qu'on trouve configné dans l'Hiftoire de l'Académie des Sciences.

Un homme de quarante-cinq ans, d'un tèm→ pérament fec & robufte, à la nouvelle inopinée de la mort d'un homme avec lequel il avoit eu difpute, fe profterna le vifage contre terre, & perdit le fentiment peu-à-peu on le porta à la Charité de Paris, où il demeura pendant quatre mois. Les deux premiers mois, il ne donna aucune marque de fentiment, ni de mouvement volontaire. Ses yeux furent fermés jour & nuit ; il remuoit feulement les paupières. Il avoit la refpiration libre & aifée, le pouls petit & lent. Ses bras restoient dans la fituation où on les mettoit. Il n'en étoit pas de même du refte de fon corps; il falloit le foutenir pour lui faire avaler quelques cueil lerées de vin pur. Ce fut pendant ces quatre mois fa feule nourriture; auffi devint-il maigre, fec & décharné. On lui fit tous les remèdes imaginables pour diffiper ce fommeil léthargique, faignées, émétiques, purgatifs, véficatoires, fang fues; & on n'en obtint d'autre effet que celui de le réveiller pour un jour, au bout duquel il retomboit dans le même état. Pendant les deux premiers mois, il donna quelques fignes de vie. Quand on avoit différé de le purger, il fe plaignoit, & il ferroit les mains de fa femme. Dès ce tems, il commença à ne plus falir fon lit. Il avoit l'attention machinale de s'avancer au bord du lit, où on avoit placé une toile cirée. Il buvoit, mangeoit, prenoit des bouillons, & fur - tout du vin, qu'il ne ceffa d'aimer pendant toute fa

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