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fur la nation des Commentateurs, en la perfonne du Docteur Matanafius.

La Piece qu'on va lire eft je crois la même que celle qui a été annoncée dans les Nouvelles Litteraires imprimées à la Haye. Je fouhaite que l'Auteur en la voyant ici fe détermine à m'en envoyer la fuite.

Jugement du veritable MATANASIUS fur le Chef-d'œuvre d'un Inconnu avec des Remarques.

MONSIEUR.

Je vous ai promis de vous faire part de mon avanture avec le veritable Matanafius, je vais tenir ma promeffe. Il y a longtems que j'aurois dû m'en acquiter; nfais vous fçavez que quand on appartient aux Grands, on ne difpofe pas de fon tems comme l'on voudroit.

Il y a fix femaines que m'étant allé promener à mon ordinaire, dans une des alleès le plus folitaires du Luxembourg, après avoir fait quelques tours, je me couchai fur l'herbe, & peu de tems après je m'endormis. Mon fommeil ne fut pas long; je fus éveillé en furfaut par Pieces Fug. L'em, III,

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une voix plaintive, qui pouffoit au ciel de lugubres accens. La pitié, que mes propres malheurs m'ont toujours infpirée pour ceux des autres me fit intereffer dans le fort de celui que j'entendois plaindre. Je me levai, & m'avançai vers un petit Bofquet, d'où il me fembloit que la voix étoit partie. A peine cus-je fait fept ou huit pas, que j'apperçus un homme à demi couché, la tête appuyée fur une main, & de l'autre tenant un Livre couvert de papier bleu, qu'il paroiffoit lire avec autant de colere que d'attention. A chaque feüillet qu'il tournoit il faifoit une exclamation nouvelle. Enfin de rage il jetta le Livre par terre, en s'écriant,

Peut-on plus vivement fe voir affaffiné?

Je m'imaginai que c'étoit apparemment quelque Auteur, que Meffieurs les Journalistes, felon leur loüable coutume, avoient, au gré de leur caprice déchiré dans leur Journal. Tout me confirmoit dans cette penfée. Le Livre couvert de papier bleu, relieure Ordinaire des Journaux, & l'équipage du complaignant. Il n'étoit pas magnifique : fon habit étoit d'un gros drap noir, que le tems avoit rendu chauve. Les bouton

nieres étoient à droit: fes bas étoient mal tirez & mal roulez, & fes fouliers témoignoient que leur maître avoit beaucoup marché la veille. Mais fa phyfionomie démentoit fa parure. C'étoit un homme d'environ foixante & dix ans. Un air noble & gracieux étoit répandu fur toute fa perfonne. Il avoit le front grand & élevé, les yeux vifs & bien fendus. Sa contenance infpiroit du respect. Enfin il avoit je ne fçai quoi, qui me prévint d'abord en fa faveur. Sa vûë me toucha.

Je m'avançai vers lui, & l'ayant salué refpectueufement; pourroit-on fans indifcretion, lui dis-je, fçavoir le fujet de votre couroux? Helas! me répondit-il, le fujet en eft petit, Monfieur : Je rougis de l'emportement où vous m'avez trouvé; mais il eft des mouvemens dont on n'eft pas le maître. Ce Livre, continuat'il, en ramaffant celui qu'il avoit jetté & me le préfentant, m'a mis dans une colere, dont je n'ai pû retenir les premiers transports. Je pris le Livre & l'ouvris. Jagez de ma furprise, quand je vis que c'étoit le Chef-d'œuvre d'un Inconnu avec les Remarques. Je ne fçaurois comprendre, dis-je à cet homme, en quoi ce Livre a pû vous choquer, & je ne

croyois pas que l'Ouvrage du grand Matanafius..... Matanafius ? interrompit-il brufquement; Matanafius n'y a jamais travaillé. Perfonne n'en peut être mieux inftruit que moi, puifque je fuis Matanafius. Vous Matanafius !. repris-je tout étonné. Oui, Monfieur repartit-il,

Voici le veritable

L'autre eft un impofteur, digne de châtiment. Pardonnez-moi, lui dis-je, fi je vous demande un plus grand éclairciffement fur cet article. J'ai toujours cru que le nom de Matanafius étoit un nom fuppofé fé, pour..... Vous ne vous trompez pas entierement, me dit-il; la maniere franche & ouverte, avec laquelle vous m'avez abordé, la part que vous femblez prendre à mon chagrin, m'engage à ne vous rien cacher de ce qui me regarde. Affeyons-nous. Je lui béïs: & lui ayant fait connoître par mon filence que j'étois prêt à l'écouter, il commença en ces termes.

J'éprouve aujourd'hui le fort du Lion dans fa vieilleffe. Il eft bien trife pour un homme comme moi de fe voir en danger d'être la fable & la rifée de tout le monde. Je ne crois pas devoir vous prévenir fur l'équipage où vous me trouvez.

Je fuis affez mal arrangé: je n'ai pas tou jours été de même. Autrefois je me fuis vû fort à mon aife. Mais on n'eft pas refponfable des caprices du fort. La fagesse confifte à fouffrir patiemment les revers dont la fortune nous accable.Tel que vous me voyez, j'ai été en liaison avec la plus grande partie des gens de lettres du fiécle paffé.

Au fortir de mes études que je fis avec affez de fuccès, me trouvant fans ambition & maître d'un bien paffable, je refolus d'embraffer un genre de vie doux & aifé, & de me livrer entierement au goût que j'avois pour les fciences. Je recherchai la s connoiffance de ceux qui étoient le plus en reputation, & je liai une amitié trèsétroite avec Moliere & le grandCorneille. Quoyque fort jeune, j'eus le bonheur de m'en faire eftimer. L'étude particuliere que j'avois faite des Anciens m'avoit formé le goût. Quelques Ouvrages que je fis m'acquirent de la reputation;& les meil⚫ leurs Auteurs ne faifoient pas difficulté de me communiquer leurs Ouvrages, & de fuivre mes avis.

La mort m'ayant enlevé mes meilleurs amis, l'envie de voyager me prit. J'allai en Angleterre, où je fis connoiffance avec l'illuftre S. Evremond ; & je crus retròu

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