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ver en lui la perte que j'avois faite. Je de meurai dans ce pays jufqu'à la revolution.. Alors j'en fortis, après avoir inutilement fait tous mes efforts pour emmener S. Evremond: mais, foit qu'il fût efclave de l'habitude, foit qu'il fut retenu par des chaînes plus fortes, il refifta à mes follicitations, & s'obftina à demeurer dans un pays, où il étoit en fûreté par l'eftime générale qu'on avoit pour lui. D'Angleterre je paffai en Hollande, où je frequentois particulierement M. Bayle, que nous regretterons longtems..

Mais il me femble que je m'écarte de mon fujet,& infenfiblement je tombe dans une infipide narration de mes voyages. Il faut pardonner cela à l'âge. Les vieillards comme vous fçavez, aiment à conter. Revenons à ce que vous avez envie de fçavoir, c'est-à-dire, au nom de Matanafius.

En arrivant en France, je trouvai que mon veritable nom n'y étoit point oublié.. Mes voyages même m'avoient donné une . efpece de relief:on fe fouvenoit toujours de l'habitude que j'avois que avec Moliere& Corneille. Je me vis tout à coup accaતે blé de vifites de plufieurs Auteurs, qui me venoient confulter fur leurs Ouvrages. Un jour je fus prié d'entendre la lecture

d'une Tragedie, après l'avoir écoutée attentivement, j'en dis mon avis; je fus trop fincere, l'Auteur étoit Gafcon, cette nation n'aime pas la critique: enfin, fâché de ne pouvoir répondre à mes objections dans fon entousiasme poëtique & gascon, il me nomma Matanaze: Comme ce nom n'avoit rien de choquant en cette occasion. j'en plaifantai, fçachant d'ailleurs que pour faire tomber ces fortes de fobriquets, le meilleur eft d'en rire le premier. Cependant le nom me refta, & je ne m'en mis pas beaucoup en peine. Mais jugez quel doit être mon chagrin, en voyant qu'on me fait Auteur d'un Livre qui n'eft qu'un amas de bouffonneries pedantefques. H n'y a que peu de jours que je fuis arrivé d'un voyage que je fus obligé de faire en Province,il y a environ deux ans;& en entrant dans ce jardin, un homme eft venu myfterieufement me demander fi je voulois acheter Matanafius, Le nom m'a furpris, & a piqué ma curiofité; j'ai eu la patience de lire tout l'Ouvrage; & je vous avouerai que j'aicrû que celui qui l'a compofé et un de mes ennemis, qui a eu deffein de me rendre ridicule. Cette penféem'a jetté dans un mouvement de colere, que je n'ai pû furmonter. En effet, pou voit-on me jouer plus cruellement, qu'en

m'attribuant un Ouvrage, plus diffamant même que le fobriquet qu'on avoit voulu me donner? le public toujours difpofé à recevoir les mauvaises impreffions m'en croira l'Auteur, & cela paroîtra d'autant plus vraisemblable, que la premiere idée eft effectivement de moi : & fans trop me vanter, je croi qu'elle auroit fait plaifir, fi on l'avoit renduë telle que je l'avois conçûë. Voici ce qui y donna occafion.

Je me trouvai un jour chez M. de Moliere; il y avoit à l'ordinaire bonne compagnie. J'étois en pointe d'efprit ce jourlà, (car je vous dirai en paffant que je fuis perfuadé qu'il y a jour pour tout; aujourd'hui on eft poltron, & demain on eft brave; il eft certains momens où à pei ne peut-on penfer; il en eft d'autres où Fon fe trouve vif & delié) j'étois tel alors. & comme dit leBourgeois-Gentilhomme, j'étois en train de dire de fort jolies chofes Jorfqu'on vint annoncer la vifite de M. ***. Après les premiers complimens & quelques difcours generaux, ce dernier. venu nous pria d'écouter la lecture de quelques vers, qu'un de fes Amés, difoit-il, lui avoit donnez à examiner. On prêta attention : il les lut, & les déclama le mieux qu'il lui fut poffible. C'étoit une Elegie, où un Amant, dont les

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foins n'avoient pu toucher fa Philis, fe plaignoit de fon trifte fort. La lecture finie, tout le monde refta muet. Enfin il n'y avoit rien à dire. La piece étoit également à l'abri de la critique & de la lounge.

Notre filence chagrina M ***, qui apparemment étoit l'Auteur des Vers. Pour nous engager par fon exemple à les trouver bons, il en fit un Commentaire dans la vûë d'en relever toutes les beautez. Perfonne n'ofa le contredire, perfonne ne l'appuya. Tout d'un coup me laiffant emporter à ma vivacité, je pris la parole: Meffieurs, dis-je, ce que M *** vient de nous lire me fait fouvenir d'une Chanfon

que j'appris hier, dont je vais vous faire part. Elle me paroît admirable. Ecoutez. Alors je leur chantai une Chanfon du Pont-neuf, que j'avois apprife à caufe d'un certain Ridicule plaifant & naïf qui s'y trouvoit. C'étoit un chefd'œuvre en ce genre. Enfuite affectant un grand air de fang froid, je me fervis. des mêmes remarques, &, autant que je pus, des mêmes expreffions de M***, & je tachai de faire fentir dans ma Chanfon les mêmes beautez & les mêmes délicateffes qu'il avoit trouvées dans fon Elegie. A peine eûs-je fini, que toute

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la Compagnie, qui s'étoit retenue pen dant que je parlois, fit un éclat de rire qui déconcerta M*** & l'obligea de fe retirer. La plaifanterie que j'avois faite donna lieu à plufieurs réflexions fur les Commentateurs, qui fouvent veulent, à force de fubtilifer, trouver dans les Auteurs qu'ils commentent, des beautez qui n'y font pas..

Cela m'infpira le deffein de ramaffer divers paffages des Anciens loüez malà-propos par les Commentateurs, de les coudre enfemble d'en compofer une Chanfon dans le goût du Pont-neuf, & d'y faire un Commentaire en me servant de leurs remarques. Par là on auroit été contraint d'avouer, ou que ma Chanfon étoit belle, ou que certains endroits exaltez dans les Anciens n'avoient leurbeauté que dans l'imagination creuse: de Meffieurs les Commentateurs. Voilà le plan que j'avois fait. Je le communiquai à Moliere & à Chapelle, qui l'ap-. prouverent, & me folliciterent d'y travailler au plutôt :: mais des occupations plus férieufes m'en empêcherent

Monfieur, lui dis-je alors, voyant quil gardoit le filence: le plaifft que jjai eu de vous entendre m'a empêché de wous interrompre mais vous me permet

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