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moyens les plus puiffans dont vous vous foyez fervi pour le détruire.

Ainfi vous êtes, SIRE, au comble de la gloire, quoyqu'à peine au milieu de votre âge; votre valeur n'a ce semble plus rien à faire, tout lui eft foumis ; & vainqueur enfin de vous-même, après avoir triomphé de vos ennemis, rien n'ofe plus vous refifter; votre clemence a donné la paix, votre juftice a réformé l'Etat, votre zele pour Dieu a extirpé le monftre de l'Herefie; toutes vos vertus femblent être dans leur derniere perfe&tion; vous êtes aimé de vos Sujets, redouté par tout l'Univers, admiré de toutes les Nations, & comblé des graces particulieres du Ciel, comme vous l'êtes des dons les plus riches de la nature.

Cependant, SIRE, nous ofons fupplier tres-humblement V. M. de fouffrir que nous lui reprefentions, avec un profond refpect, qu'il manque quelques traits à ces grands ouvrages pour les fi nir; qu'il y a encore des Sujets qui demandent l'œil de votre fageffe & la main de votre juice; & que fi les caufes étrangereses maux qui pouvoient nous affliger, fnt éteintes par les conquêtes, que vous avez faites, & par la paix dont nous jouiffons, il refte encore dans le

fein de votre Royaume des caufes domeftiques & particulieres de divifion, qui préjudicient au fervice que vos Sujets doivent vous rendre, qui divisent les particuliers, partagent les familles, laiffent entr'elles des inimitiez que le tems a peine à vaincre, & que fouvent la mort même ne termine pas : C'eft, SIRE la difpute du rang & de la préfeance entre les Officiers, qui produit tous ces malheureux effets qu'on vient de toucher à V. M.

Le merite feul autrefois donnoit l'entrée aux dignitez, & comme l interêt & la vanité y avoient peu de part, on les poffedoit avec moins de trouble & on les exerçoit avec plus d'integrité; les Officiers fe reglant par les loix de l'honnêteté, plus que par celles de l'ambition, s'appliquoient feulement à acquerir la fcience par l'étude, & à s'acquiter de leur devoir avec honneur ; mais depuis qu'elles ont commencé à faire la plus confiderable partie du bien de ceux quiles poffedent, & que pour ce fujet la bonté de nos Rois les ont co fervées dans les familles par le moyen d droit annuel, on les a regardé comme des moyens propres à fatisfaire fa vanité

établir fa fortune; les gens de la plus

baffe condition, comme du plus petit merite, y font entrez à la faveur de l'argent, indifferemment avec les perfonne confiderables par leur naiffance, & diftinguez par leur fçavoir; en forte que l'on peut appliquer à la plupart de ceux qui parmi nous font honorez du titre d'officiers, la même plainte que fit autrefois un éloquent Pere de l'Eglife de ceux qui recevoient dans Rome l'honneur du triomphe: Agreftia dudum corpo ra triumphalis laurea circumdat. On ne s'eft plus conduit par les loix de la politeffe & de la déference, l'orgueil & l'interêt les ont bannies; on a regardé un Office comme un fonds dont on augmenteroit d'autant plus le prix que le revenu en feroit plus grand & le rang plus élevé ; mais comme V. M. dans les motifs de fon Edit du mois de Mars 1673. fait efperer qu'elle pourvoira aux moyens de faire rendre la juftice gratuitement à fes Sujets, on fe retranche ici feulement fur l'article du rang pour lequel on voit agiter des procès fi frequens, & exercer des inimitiei irreconciliables.

Les Officiers, SIRE, doivent être regardez amme une nombreuse famille, dont vous êtes le chef & le maître, ou comme des enfans dont vous êtes le pere; nj

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en effet, votre puiffance leur a donné l'être, & ils fubfiftent par votre bonté ; outre les liens de la fouveraineté & de la dépendance qui les attachent à V. M. avec le refte de vos Sujets, ils doivent encore plus particulierement être unis entr'eux, puifque c'eft dans leurs mains que vous déposez une partie de votre autorité, & qu'ils ont l'honneur de partager avec vous les foins que vous apportez à rendre la juftice & à gouverner vos Finances; ainfi comme ils afpirent tous à une même fin, ils doivent aufli vivre dans une union plus étroite & plus forte: Mais file rang & la place des enfans n'eft pas reglée, fi les cadets veulent occuper celles des aînez, fi ceux qui font les fonctions les moins neceffaires & les moins confiderables veulent ufurper les honneurs dûs à ceux dont les emplois font plus honorables & plus importans, & fi votre juftice enfin n'arrête leurs entreprises, & ne diftingue leur rang, ces Officiers continueront de fe faire entree eux une guerre civile; ils ne feront pas plutôt inftalez qu'ils cherchonta fe détruire; femblables à ces hon mes armez que Cadmus fit fortir de la teke, qui fe combatirent auffitôt qu'ils eurent pris naissance, & ne virent le jour que pour

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s'arracher la vie : Et alors nous aurons, fajet de dire avec un Pere de l'Eglife, grand Saint & grand Miniftre d Etat, forti d'une de vos plus belles, comme de vos plus fideles Provinces: En vain, nous fommes enfans d'un même pere, membres d'un même corps. citoyens dune même Ville, fujets d'un même Monarque, & obéïffans à un Roi d'une fageffe fi profonde, & d'une moderation fi parfaite, fi détournant nos yeux d'un fi beau modele, nous avons des divifions qui nous partagent, des inimitiez qui nous troublent, & des procès qui nous détruisent.

La force & la beauté du corps politique, comme du corps naturel, viennent de l'union des parties inegales qui le compofent; & comme la fageffe de Dieu paroît dans l'arrangement & dans la fubordination de ces parties, de même celle du Souverain, qui eft fon image visible sur la terre, paroît lorfqu'il contient tout les menores de l'Etat dans le rang qu'ils doivent occuper, & dans la fonction qui doivent exercer.

L'égalité au contraire eft la fource des defordres qui ne tendent qu'à le détruire. Les Philofophes ont remarqué, que Farmi les aftres même, cette égalité cau

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