Imágenes de páginas
PDF
EPUB
[ocr errors]

qu'ils ne l'auroient été du fçavoir vain & faftueux des autres Philofophes, ils voulurent s'en détacher par le nom d'Académiciens qu'ils fe donnerent. Ciceron qui vouloit prendre un parti, car le moyen d'être Philofophe & de n'en fuivre aucun, n'hefita pas d'en prendre un fi conforme à la difpofition.de fon efprit ; & fi le titre d'Académicien eft celui qui le flata le plus dans fes Ouvrages, c'eftauffi celui dont il conferva toujours avec foin la referve ; & j'en fais ici l'aveu avec plaifir; la modeftie, qu'il n'a jamais perdu de vûë fur le chapitre de la verité, & qui eft d'un fi grand ufage pour fixer les faillies & l'impatience de l'efprit humain, ne fçauroit être trop loüée. Je l'avoue encore,cétte modeftie se bornoit à fes lumieres, & elle l'abandonnoit fouvent lorfqu'il lui arrivoit de parler de foi. En effet, on voit fans ceffe Ciceron fatiguer fa patrie du recit & du fouvenir des bons offices qu'il lui a rendus. Il n'y avoit pas de la fageffe à fe tant faire va loir; en fe nommant continuellement le pere de fes citoyens, il fe payoit lui- même de tout le bien qu'il leur avoit fait. Un orgueil bien entendu auroit deman dé moins de gratitude & en eut obtenu davantage. Outre que, comme l'a re

marqué un des plus fages hommes du dernier fiecle (M. de la Rochefoucault), dans des Maximes qui font les délices de tous les honnêtes gens, on ne doit jamais parler de foi ni en bien ni en mal; en bien, parce que c'eft un orgueil infupportable qui revolte tout le monde ; en mal, parce que c'est une fauffe modeftie qui cache un orgueil, fur lequel les gens fenfez ne prennent point le change.

La demangeaifon de parler fans ceffe de foi, n'eft pas le feul défaut qu'on reproche à Ciceron: il étoit pour le moins auffi lâche que vain ; & avec un auffi grand fond de philofophie qu'il en avoit, & foutenu du privilege de fa naiffance; l'on fçait combien dans ces premiers tems le nom de Romain élevait le cœur, on a peine à comprendre comment il a pû marquer tant de foibleffe. Je ne crois pas que fur ce chapitre il y puiffe rien avoir au-deffous de lui, même dans le fexe le plus foible. Ses Lettres à Atticus, fon ami de confiance', ont inftruit toute la pofterité de la poltronerie; il y a exprimé fa lâcheté avec tant d'art, que le plus determiné Lecteur a peine, en les lifant, à fe défendre den fentir les inreffions. Jamais enfin paffion n'a été einte avec plus de force que la timidi

té l'eft dans fes Lettres. Je le repete, quelque refolution qu'on apporte à cette lecture, elle fait prefque trembler & infpire infenfiblement les fentimens de

l'Auteur.

,

Jamais homme n'a donné de plus belles regles contre les malheurs de la vie, que Ciceron dans fa profperité; on diroit qu'il défie dans fes Ecrits, les vents, le tonnerre & quelque orage que ce foit, de l'ébranler on voit enfuite que le : moindre éclair l'aveugle, que le moindre foufle d'un vent contraire l'abat. Mais ce qui découvre bien le fond de fon cœur, ce font les circonftances de fa mort. Dans le cours des cruelles profcriptions du Triumvirat, & fçachant qu'Antoine fon ennemi, l'avoit mis dans fes meurtrieres liftes, il fe faifoit porter d'Aftyra dans la campagne,& de la campagne à Aftyra, où il s'embarqua enfin pour aller trouver fon fils: il cingle jufqu'à Circe, mais cruellement agité de fes douleurs, il fe fait mettre à terre reprend une litiere, prend le chemin de Rome, refolu d'aller reprocher à Octave Cefar fon ingratitu le, & fe doener la mort à fes yeux. A peine a-t'il fait fept lieues que cette magnanimité s'évanouit: * Petit Fort du Royaume de Naples.

[ocr errors]
[ocr errors]

Les payfans qu'il voit dans la campagne l'allarment comme une troupe d'ennemis, il reprend en hâte le chemin de la mer, fe fit porter dans un vaiffeau jufqu'à Caïette, où ayant paffé la nuit dans des inquietudes mortelles, tourmenté au dehors par d'importuns Corbeaux qui l'attaquoient jufques dans fon lit, & au dedans par la crainte d'une mort cruelle, il fe remit dans fa litiere pour être encore conduit vers la mer. Alors Lena Popilius, Tribun du Peuple, qu'Antoine avoit envoyé à fa pourfuite, avec une troupe de Gladiateurs, environna fa litiere, qu il fit auffitôt arrêter, peut-être dans l'efperance que ce Popilius, qu'il avoit deux fois garanti des fupplices que meritoient fes crimes, pendant qu'il avoit l'autorité en main, feroit au moins touché de fes malheurs : mais un fcelerat ne ceffe jamais de l'être, & quiconque lui-fauve la vie expofe la fienne propre & celle de tous les gens de bien à fa fu reur. L'innocence de Ciceron fut punie d'avoir laiffé fes crimes impunis. Popilius autrefois accufé d'avoir tué fon propre pere affaffina le pere commun de la patrie. A peine ces fatellites eurent-ils parlé, qu'aulitôt Ciceron plus mort que vif préfenta à fes bourreaux un visage si dé

[ocr errors]

figuré de maigreur, de larmes, & de pouffiere, & une tête fi abattuë d'ennuis, & de fi pitoyables regards, que plusieurs de ces affaffins détournerent les yeux de peur de s'attendrir à ce fpectacle pendant que le perfide Herennius coupa la tête & les mains à cet Orateur autrefois fi redoutable, & les porte à Antoine, qui les fit attacher à la Tribune des Harangues.

Si quelque chofe peut faire paffer par deffus une fi grande foibleffe, c'est que certainement elle mettoit dans l'imagination de Ciceron & plus d'ornement & plus de délicateffe. On n'ignore pas que. tres-fouvent les qualitez de l'efprit fe font payer par ce qu'on appelle des dé

fauts dans le caractere.

Ce que produifit dans ce grand homme une imagination ornée & délicate & ç'en est une fuite naturelle, ce fut un penchant dominant à la raillerie;né avec un talent fi dangereux, difficilement s'en fut-il interdit Tufage. En effet,la vanité eft doublement fatisfaite dans la raillerie; on s'y loue modeftement de la vertu oppofée au défaut qu'on attaque, & l'on le fait un triomphe fecret de dévoiler finement un ridicule qu'on a fçû découvrir.

Les veritables fentimens de Ciceron

[ocr errors]
« AnteriorContinuar »