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fur la divinité ont fouvent fait la matiere d'un ferieux problême entre les Sçavans. L'affectation avec laquelle il loue dans fes Tufculanes les deux petits Ecrits allez médiocres que Dicearque, Geographe contemporain d'Augufte, fit contre l'im mortalité de l'Ame *, & les louanges que Pomponius Atticus & lui, donnent à cet Auteur,& qui roulent autant sur fesEcrits que fur fa perfonne, ne donnent pas une grande idée de leurReligion. En effet, Ciceron demande à fon ami ces Ecrits avec tout l'empreffement d'un homme bien rempli de la mauvaise doctrine qu'ils contiennent.

LUCIEN Vivoit fous le regne de Trajan & au-delà de celui de Marc-Aurele, qui le fit Intendant en Egypte. Avec un de ces genies qui plaifent, il fut bientôt tenté de fortir de l'état de baffeffe où l'avoit réduit le malheur de fa naiffance, & les reffources que lui fourniffoit une belle imagination, le dégouterent bientôt. auffi de la profeffion de Sculpteur à la quelle fes parens 1 avoient deftiné; tant il eft vrai que fi la.b.ffeffe & l'indigence ouvrent quelquefois une route pour de venir bel efprit, les qualitez qui font le bel efprit; en ouvrent auffi quelquefois

Voyez la page 199 du a volume de ce Recueil

une à la fortune. Un genie vif ne fouffre pas qu'on lui refifte. Lucien fans gour pour la Sculpture renonça à cet art; fans goût pour le Barreau, le Barreau, il renonça de même à une profeffion où il apperçut que les mots & les figures étoient eftimées plus que les chofes, & où les poumons donnent quelquefois tout l'avantage. Il trouva enfin un azile dans le fein de la . Philofophie, & c'étoit là fon vrai centre; car il étoit fait pour elle. Je veux dire pour une Philofophie faine & purgée de préjugez; il rejetta toujours fierement ces opinions paffageres à qui on donne fi legerement le nom faftueux de fyftême, & dont les Philofophes oififs amufent la crédulité humaine. Il ne reçut jamais pour verité que ce qui l'étoit veritablement, & ennemi déclaré de tout préjugé, il avoit le courage de foutenir ce vuide que la raifon laiffe quelquefois dans un efprit qui ne veut recevoir que ce qui porte le caractere de l'évidence. Avec un genie fi heureufement difpofé, il n'eut pas de peine à découvrir l'illufion & limpofture du culte des Payens, & jamais perfonne n'a traité plus cellement les Dieux du Paganifme que lui, ni n'a répandu plus d'agrément dans les Satyres qu'il en a faites. Tout ce qu'il

leur fait dire, & la maniere dont il les fait raisonner, découvre bien le mépris qu'il en faifoit, & donne en même tems une pleine intelligence de la mytholo gic.

Plein d'un fage couroux contre ce peuple de Philofophes, que l'ignorance & l'amour du merveilleux, joint à la curiofité de l'efprit humain, ont tant multipliez, il ne ceffoit point d'infulter par des traits vifs & piquans à toutes ces dif•ferentes Sectes; & l'on peut dire que Lucien tout Philofophe qu'il fut, a été un des plus dangereux adverfaires des Phi-. lofophes. Quand il découvre le ridicule ou la partie foible, le défaut caché de quelqu'un, on eft für de se le voir préfenter fous plus d'une forme, & cette forme eft toujours nouvelle & toujours agreable. Tout ce qui eft marqué d'un grand nom, eft toujours auffi ce qui pique fon goût pour la raillerie, & fes traits de fatyre font ordinairement des marques de diftinction. Les Dieux, les Philofophes, les premiers hommes du gouvernement voilà les objets qui enAlament fon imagination. Lucien étoit trop bon politique pour paffer dans les grands hommes ce qu'il y avoit de fufceptible de critique; il fçavoit que la

voye la plus fûre pour plaire & pour prévenir le public en fa faveur, c'est de décrier les heros. Folie & ridicule caprice des hommes! Ils prennent plaifir à voir abaiffer ceux qu'ils avoient eux-mêmes élevez, & ils fe plaifent à voir renverfer un ouvrage qu'il avoit tant coûté à leur vanité de laiffer former.

Lucien avoit un art que la nature donne mais que le cabinet peut fouvent ôter: il badinoit agreablement. En effet, on voit fes Ouvrages dans les mains de toutes les femmes d'efprit, qui ne fe laffent point de les lire; & à mon gré, c'eft ce qui fait mieux leur éloge: car quoyqu'on en dife, les femmes auifibien que nous, font Juges naturels des bons Ouvrages: il y en a meme qui ont reçu de la nature, avec un goût für & délicat,un eiprit qui n'a pas befoin d'étude pour fe perfectionner. Notre fiecle fournit plufieurs exemples de cette verité: mais c'eft ce que les Sçavans de profeffion ne fçauroient leur pardonner; ils ne doivent pas en effet trouver fort bon qu'on ait un efprit qui ne coûte rien;toujours fecs & heriffez, toujours fauvages, ils veulent que la verité leur reffemble; il femble, à les entendre, que les Sciences perdroient beaucoup de leur

dignité, fi on les acqueroit avec facilité, & que cet air myfterieux avec lequel on les enfeigne faffe le fond de leur beauté. Mais auffi ne feroit - ce point à cet air fec & auftere que les Sçavans doivent une partie de l'admiration que l'on a pour eux ? Lucien, & tous les Sçavans en devroient faire de même, ne donnoit la Philofophie que pour ce qu'elle étoit : fimple & délicat dans fa maniere de juger & de penfer, il ne rendoit aufli fes idées qu'avec beaucoup de facilité & de

netteté.

On reproche à Lucien des goûts pervers & des mœurs voluptueufes. Le reproche n'eft pas fans fondement, il eft vrai ; fes mœurs étoient telles que les forment les paffions qu'une raifon fevere

ne

contrarie point. Ne connoiffant point d'avenir ce Philofophe ne fe croyoit pas dans l'obligation de lui faire un facrifice du prefent; dans un profond aveuglement & dans une ignorance ab foluë d'une intelligence fouveraine dont il connoiffoit encore moins les volontez ⚫ que la nature, il fe prêtoit, il fe livroit même à des goûts qu'il ne croyoit pas avoir reçu de la nature pour les combattre. Ce qui fait bien voir que l'efprit s'égarera toujours infailliblement, s'il n'a

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