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ARTICLE V I.

Onfieur Miron, à qui la Lettre fuivante eft adreffée, eft un homme de condition de cette Ville, fort attaché à la nouvelle Philofophic, dont il poffede parfaitement tous les principes ; furtout zelé Mallebranchifte: on en peut juger par ce qui eft dit au bas de cette Lettre de Mlle de Vailly, qui appartenoit de près au feu Pere Mallebranche, & chez laquelle on faifoit un jour de chaque femaine autrefois des conferences fur les Ouvrages de cet excellent Auteur. M. Miron étoit un des chefs de cette affem-> blée, & l'un de ceux qui étoit le plus au fait de toutes les matieres que l'on y traitoit avec une exacte & fçavante difcuffion. On m'a dit que cette Lettre a été écrite par un Abbé à l'occafion de quelques converfations fur des questions de Métaphyfique que M. Miron & un de fes amis de Toulouse (M.de Montagnol), auffi grand Mallebranchifte, eurent avec un Chartreux (a), qui en ce tems-là étudio fort ces matieres. Cet Abbé affi

D. Alexis Gaudin, qui a écrit contre le P. Mallebranche; & de qui vient la premiere Piece du pre mier Volume de ce Recueil.

ftoit & étoit de part dans ces converfations.Sur une question incidentaire qu'on toucha un jour en paffant, il écrivit cette Lettre à M. Miron, que je ne fçache pas qui y ait jamais répondu. Je fouhaite que l'envie lui en puiffe prendre, lorfqu'il la verra imprimée, ou que quelqu'un pour lui voulût mettre dans tout fon jour la question traitée dans ladite Lettre. Quelqu'abftraite qu'elle foit, on en verroit avec plaifir les éclairciffemens.

Lettre à M. Miron,

Left tems que je réponde à la queftion que vous me fites il y a quelque tems, Monfieur, s'il y a un monde doüé de vie, de fentiment & d'intelligence que Dieu ait fait. Pour l'entier éclairciffement de cette difficulté; il faut diftinguer les fubftances vivantes & créées des fubftances corporelles, & prouver que l'existence des premieres eft poffible que la raifon demande que nous la reconnoiffions, & qu'elle la demande même neceffairement. Cette existence est poffible, parce qu'elle ne renfernic av cune contradiction; puifque Dieu, qui eft la caufe & le principe de tous les êtres, eft lui-même une fubftance incorporelle

&

& pleine de vie. Si l'on difoit que Dieu eft corporel auffi-bien que le reste de tous les êtres qui font au monde ; ce feroit le faire une partie du tout, ou de l'univers, & dire qu'une partie de cet univers a fait tout le refte, & tomber ainfi dans une tres-grande abfurdité à divers égards, aufquels il eft inutile de s'arrêter. Il eft auffi tres-poffible qu'une fubftance immaterielle ait une effence analogue à l'étendue des corps, quoyque nous n'en ayons pas d'idée complette ni aucun mot propre à l'exprimer. Chaque mouvement eft en quelque forte coétendu avec le corps mû. On ne peut pas dire cependant qu'une motion foit épaiffe, ou mince, où ait aucune des dimenfions du corps; puifque fi cela étoit la même quantité de mouvement occuperoit la même étendue de matiere, ce qui ne peut pas être, puifque tout le mouvement d'un grand corps peut paffer dans un plus petit ou dans un plus mince.

Mais quel que foit l'effence qui appartient à une fubstance vivante, on ne peut pas dire qu'il eft impoffible qu'il y

ait, parce que nous n'en avons pas de notion complette. Un ver ou un homme né aveugle n'ont aucun fentiment de a lumiere & des couleurs, & cependant Fices Sug. Tom, 111, E

il y en a. Un poiffon qui n'a point d'oreilles n'entend point, & il ne s'enfuit pas pour cela qu'il n'y a point de mufique.

On pourroit objecter que s'il y avoit une femblable fubftance immaterielle en nous, nous devrions le fçavoir, puifqu'elle feroit une partie de nous-mêmes. Mais en raifonnant ainfi, il faudroit que nous diffions que ceux qui ont des yeux doivent bien fçavoir ce que c'eft, pour s'en fervir; & que ceux qui ont une subftance qui penfe, doivent fçavoir ce que c'cft que cette fubftance, pour pouvoir penfer. Mais comme il y a une infinité de gens qui voyent tres-bien, quoyqu'ils ignorent entierement la ftructure de l'œil; il eft certain auffi, que nous pouvons penfer, fans avoir une idée complette de la fubftance qui penfe. Ainfi il eft ridicule de dire, que parce que nous ne comprenons pas quelque chofe, il n'exifte pas.

Si l'existence d'une telle nature eft poffible, il eft raifonnable que nous croyons qu'il y en a une, parce que Dieu ayant créé des corps, qui font plus imp-faits on doit raisonnablement croire qu'il auffi créé des fubftances immaterielles, qui font plus parfaites & qui lui reffem blent davantage.

Il est certain premierement qu'un corps ne peut pas être vital en lui-même ; puifque s'il l'étoit ce feroit parce qu'il feroit ou tres-fubtil,ou organizé, ou mû,ou doué de vie, comme d'une proprieté qui feroit attachée à fa nature, de même que le mouvement. Or il ne le peut pas être en aucune de ces manieres, & par confequent il ne l'eft point du tout. M. Def cartes & après lui M. Willis ont crû que des corpufcules tres - fubtils & tres-fluides contenus dans le fang, le cerveau & les nerfs des animaux, ou dans tout leur corps, font ce que nous appellons vie. Mais que l'on fubtilize tant que l'on voudra, des corps, ces atômes ne font pourtant autre chofe que des particules de la matiere & qui ne ceffent pas par la divifion d'être materielles. Elles ne peuvent rien gagner par la petitesse à laquelle elles ne parviennent que par la divifion ; à moins qu'on ne voulût dire qu'en partageant une chofe morte en deux, on donne la vie aux deux moitiez ; ou que la vie confifte dans un certain nombre de parties, qui fe forme par la divifion;

qur eft abfurde. Un corps ne peut pas non plus acquerir la vie par l'organization; car il ne faut que trois chofes pour cela; la groffeur des particules

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