Imágenes de páginas
PDF
EPUB

An

255.

les dettes qu'à ceux qui étoient notoirement de Rome. dans l'impuissance de les acquitter; et il y en eut qui, pour satisfaire en même temps à la foi publique et à l'intérêt des créanciers, proposèrent de les payer des deniers publics. Le sénat ne prit aucun de ces partis : il résolut de ne point donner atteinte à des actes aussi solennels que des contrats; mais afin d'adoucir le peuple, et pour l'engager à prendre plus volontiers les armes, il rendit un sénatus-consulte qui accordoit une surséance pour toute sorte de dettes, jusqu'à la fin de la guerre.

Cette condescendance du sénat étoit un effet de l'approche de l'ennemi, qui s'avançoit du côté de Rome. Mais plusieurs d'entre les plébéiens, devenus plus fiers par la même raison, déclarèrent ou qu'ils obtiendroient une abolition absolue de toutes les dettes, ou qu'ils laisseroient aux riches et aux grands le soin de la guerre et la défense d'une ville à laquelle ils ne s'intéressoient plus, et qu'ils étoient même prêts à abandonner. La fermeté qu'ils faisoient paroître leur attira des compagnons. Le nombre des mécontens grossissoit tous les jours; et plusieurs même d'entre le peuple, qui n'avoient ni dettes, ni créanciers, ne laissoient pas de se plaindre de la rigueur du sénat, soit par compassion pour ceux de leur Ordre, ou par cette

aversion secrète que tous les hommes ont naturellement toute domination.

pour

Quoique les plus sages et les plus riches des plébéiens, et sur-tout les cliens des nobles, n'eussent pas de part à la sédition, cependant la séparation dont menaçoient les mécontens, et le refus qu'ils faisoient obstinément de prendre les armes, étoient d'un dangereux exemple, sur-tout dans une conjoncture où la plupart des Latins, commandés par les fils et le gendre de Tarquin, étoient aux portes de Rome. Le sénat pouvoit, à la vérité, faire faire le procès aux plus mutins et aux chefs de la sédition; mais la loi Valeria, qui autorisoit les appels devant l'assemblée du peuple, ouvroit un asile à ces séditieux, qui ne pouvoient manquer d'être absous par les complices de leur rebellion.

Le sénat, pour éluder l'effet de ce privilége si préjudiciable à son autorité, résolut de créer un magistrat suprême, également au-dessus du sénat même et de l'assemblée du peuple, et auquel on déférât une autorité absolue. Pour obtenir le consentement du peuple, on lui représenta, dans une assemblée publique, que dans la nécessité de terminer ces dissentions domestiques, et de repousser en même temps les ennemis, il falloit donner à la république un seul chef, au-dessus même des consuls, qui

An

de Rome. 255.

An

255.

fût l'arbitre des lois, et comme le père de la de Rome. patrie; et, de peur qu'il ne s'en rendît le tyran et qu'il n'abusât de cette autorité suprême, qu'il ne falloit la lui confier que pour l'espace

de six mois.

Le peuple, qui ne prévit pas les conséquences de ce changement, y consentit; et il semble que l'on convint que le premier consul seroit en droit de nommer le dictateur, comme pour le dédommager de l'autorité qu'il perdoit par la création de cette éminente dignité (1). Clelius nomma T. Largius, son collègue: ce fut le premier Romain qui, sous le titre de dictateur, parvint à cette suprême dignité, qu'on pouvoit regarder, dans une république, comme une monarchie absolue, quoique passagère. En effet, dès qu'il étoit nommé, lui seul avoit pouvoir de vie et de mort sur tous les citoyens, de quelque rang qu'ils fussent, et sans qu'il y eût aucune voie d'appel. L'autorité et les fonctions des autres magistrats cessoient, ou lui étoient subordonnées: il nommoit le général de la cavalerie, qui étoit à ses ordres, et qui lui servoit de lieutenant-général.

Le dictateur avoit des licteurs armés de

[ocr errors]

(1) Tit. Liv. Dec. 1, 1. II, c. 18. Dionys. Halicarn. V, p. 336.

à

An

255.

haches, comme les rois: il pouvoit lever des troupes ou les congédier, selon qu'il le jugeoit de Rome. propos. Quand la guerre étoit déclarée, il commandoit les armées, et y décidoit des entreprises militaires, sans être obligé de prendre l'avis ni du sénat, ni du peuple; et, après que son autorité étoit expirée, il ne rendoit compte à personne de tout ce qu'il avoit fait pendant son administration.

T. Largius étant revêtu de cette grande dignité, nomma, sans la participation du sénat et du peuple, Spurius Cassius Viscellinus pour général de la cavalerie; et quoiqu'il fût le plus modéré du sénat, il affecta de faire toutes choses avec hauteur pour se faire craindre du peuple et pour le faire rentrer plus tôt dans son devoir. La fermeté du dictateur jeta une grande crainte dans les esprits; on vit bien que sous un magistrat si absolu, et qui ne manqueroit de faire un exemple du premier rebelle, il n'y avoit point d'autre parti à prendre que celui de la soumission.

pas

T. Largius, assis dans une haute chaire, et comme dans un trône qu'il avoit fait mettre dans la place publique, et environné de ses licteurs armés de leurs haches, fit appeler tous les citoyens les uns après les autres. Les plébéiens, sans oser remuer, se présentèrent do

An

255.

cilement pour être enrôlés; et chacun, rempli de Rome. de crainte, se rangea sous les enseignes. Cependant cet appareil formidable de guerre se tourna en négociation : les Sabins épouvantés demandèrent la paix sans la pouvoir obtenir. Mais il y eut comme une trève qui dura près d'un an, et le sage dictateur sçut, par une conduite également ferme et modérée, se faire craindre et respecter des ennemis et de ses concitoyens.

258.

Mais la fin de la dictature fit bientôt renaître ces dissentions domestiques que l'appréhension d'une guerre prochaine n'avoit que suspendues. Les créanciers recommencèrent à poursuivre leurs débiteurs, et ceux-ci renouvelèrent leurs murmures et leurs plaintes. Cette grande affaire excita de nouveaux troubles, et le sénat voulant en prévenir les suites, fit tomber le consulat à Appius Claudius, dont il connoissoit la fermeté. Mais, de peur qu'il ne la portât trop loin, on lui donna pour collègue Servilius, personnage d'un caractère doux et humain, et agréable aux pauvres et à la multitude. Ces deux magistrats ne manquèrent pas trouver d'avis opposés. Servilius, par bonté et par compassion pour les malheureux, inclinoit à la suppression des dettes, ou du moins il vouloit qu'on diminuât du principal ces intérêts

de se

« AnteriorContinuar »