Imágenes de páginas
PDF
EPUB

la bonté de faire expédier des lettres patentes pour leur exécution et leur enregistrement.

Cette formalité, qui assuroit son état, ne le rendit pas plus tranquille. Il lui étoit survenu, dans le mouvement des sollicitations, et peut-être, par la crainte de l'évènement, de violens maux de tête, qui ne se calmèrent pas sitôt; et, pour s'en guérir, ce n'étoit pas assez que de se démettre du prieuré de Joyenval; dans quelle autre maison, n'auroit-il pas cru trouver les mêmes sujets d'inquiétude ou de soupçon ?

:

Il se réduisit donc à une simple cure, dépendante de l'Ordre la cure de Croissy-la-Garenne, près la machine de Marly; et c'est là que, conduisant des ouailles d'une espèce toute différente, il parvint à allier aux devoirs d'un pasteur zélé, l'étude des belles-lettres et celle de l'histoire, que deux amis de · goût, ses compatriotes et ses contemporains (1), lui avoient particulièrement conseillée, comme l'étude la plus conforme à son génie, et le genre dans lequel, à son tour, il réussiroit le mieux, par sa grande facilité à s'exprimer, et le don de narrer qu'il avoit souverainement.

(1) M. l'abbé de Saint-Pierre et M. de Fontenelle.

vrage,

Ce fut aussi là qu'il composa son premier oul'Histoire de la conjuration de Portugal, qu'il fit imprimer en 1689, et dont il a donné, depuis, plusieurs éditions augmentées, sous le titre général de Révolutions.

Elle eut un cours prodigieux, non seulement parce qu'elle étoit bien écrite, mais encore parce que le sujet, grand par lui-même, le paroissoit bien davantage dans le rapport qu'on s'imaginoit qu'il pourroit avoir, un jour, avec ce qui se passoit actuellement dans un État voisin (1). Cependant, l'auteur qui auroit pû s'en faire un mérite, avouoit, de bonne foi, qu'il n'y avoit jamais songé; et qu'après le plaisir d'écrire, si quelque chose l'occupoit encore, c'étoit l'envie de retourner dans sa province, dont il n'étoit jamais sorti qu'à regret. Il en trouva bientôt l'occasion: il permutta sa cure de Croissy avec une autre du pays de Caux; et, par surcroît de bonheur, il obtint ensuite les dispenses nécessaires pour passer, de cette seconde cure, toujours dépendante de l'Ordre, à une troisième qui étoit purement séculière, d'un gros revenu, et aux portes de Rouen.

(1) L'Angleterre.

1

Plus en état d'avoir des livres, il en eut beaucoup, et il en fit bon usage. Il écrivit l'Histoire des Révolutions de Suède, qu'il fit paroître en 1696, et qui fut reçue avec tant d'applaudissement, que l'on en fit quatre à cinq éditions de suite, sans oser leur donner une nouvelle date. Elle fut aussi traduite en diverses langues, et l'ouvrage fut si estimé à Stockholm même, que l'on prétend que l'envoyé, qui étoit sur le point de passer en France, fut chargé, par ses instructions, de faire connoissance avec l'auteur, et de l'engager, par un présent de deux mille écus, à entreprendre une Histoire générale de Suède. On ajoute que cet envoyé, qui croyoit trouver M. l'abbé de Vertot, à Paris, dans les meilleures compagnies, et répandu dans le plus grand monde, surpris de ne le voir nulle part, s'en étoit informé; et, qu'ayant appris que ce n'étoit qu'un curé de Normandie, il avoit rendu compte de sa commission d'une manière qui fit échouer le projet.

Quoiqu'il en soit, ce curé de Normandie acquéroit insensiblement la réputation d'un excellent historien, d'un écrivain du premier ordre. Le père Bouhours, qui s'y connoissoit, assuroit qu'il n'avoit rien vu, en notre langue, qui, pour le style, fût au-dessus des Révolutions de Suède et de Portugal; et M. l'é

vêque de Meaux, plus capable encore d'en juger,

c'étoit

dit, un jour, à M. le cardinal de Bouillon, que une plume taillée pour la vie de M. de Turenne. Enfin, quand il plut au feu Roi d'augmenter cette Académie, et de lui donner la forme qu'elle a reçue par le réglement de 1701, sa Majesté se souvint de l'abbé de Vertot, et le nomma, de son propre mouvement, à une place d'académicien associé.

M. le comte de Pontchartrain, secrétaire d'État, l'informa, lui-même, de sa nomination; et il en fut d'autant plus touché, qu'il s'y attendoit moins, mais elle le jetta dans un extrême embarras. Il falloit venir s'établir à Paris, quitter par conséquent sa cure, qui lui valoit trois mille livres de rente, qui étoit son seul bien, et qu'il ne pouvoit encore résigner sous pension, parce qu'il lui manquoit deux années de résidence et de service. Dans cette perplexité, il répondit au ministre, dans les termes généraux de la plus vive reconnoissance, pour l'honneur qu'on lui faisoit, et du plus grand empressement à la justifier par ses travaux. Quelque temps après, il écrivit à un de ses amis, qu'il sçavoit en liaison avec M. le comte de Pontchartrain, une lettre pathétique, où, après avoir exposé sa situation, c'est-à-dire, ses peines, il proposoit l'expédient d'envoyer régulièrement, tous

les six mois, à l'Académie, des ouvrages qui vaudroient, disoit-il, mieux que lui, en attendant qu'il pût y réparer, par une assiduité merveilleuse, des absences tout-à-fait involontaires. A la suite de ce détail, il traçoit le plan d'une nouvelle Histoire de France, accompagnée de médailles sur les principaux évènemens de chaque règne; et sa conclusion étoit, que, pour se dévouer entièrement aux lettres, il ne cherchoit qu'à s'assurer le nécessaire, suivant la rigueur des lois, avant que de fonder son opulence sur les graces qu'il pourroit espérer de la libéralité du prince.

Ces représentations produisirent leur effet. M. l'abbé de Vertot fut attendu, il tint parole; et nos exercices se ressentirent aussitôt de sa présence. Il les tourna, le plus souvent qu'il lui fut possible, sur des points de l'Histoire moderne qu'il avoit fort approfondie, de celle de France sur-tout, dont il étoit également instruit et jaloux.

Nous ne nous engageons point dans l'énumération des ouvrages qu'il a donnés à l'Académie, depuis la fin de 1703 jusqu'en 1726, que des attaques réitérées d'apoplexie et de paralysie, le mirent hors d'état de sortir de chez lui et d'y travailler; cette énumération seroit trop longue, quand même nous

« AnteriorContinuar »