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NOTICE

SUR L'ABBÉ DE VERTOT,

ET SUR SES OUVRAGES.

Nous avons vu que Réné-Auber de Vertot naquit

au château de Bennetot, en Normandie, l'an 1655; qu'il étoit issu d'une famille noble; qu'il se fit d'abord Capucin, malgré l'opposition de ses parens; que sa santé s'étant trouvée dérangée par suite des austérités de cet ordre, il entra, vers 1677, chez les réguliers de Prémontré; qu'il passa insensiblement dans d'autres Ordres, et changea souvent de bénéfices: ce qu'on appellait alors, assez plaisamment, les révolutions de l'abbé de Vertot. Nous avons vu que, las de vivre dans la solitude, il vint enfin à Paris; qu'en il fut associé à l'Académie des Inscriptions; que ses talens lui firent, là, de puissans protecteurs ; qu'il fut bientôt honoré du titre de secrétaire des Commandemens de madame la duchesse d'Orléans, de celui de secrétaire des langues de M. le duc d'Orléans, et qu'enfin il eut son logement au PalaisRoyal. En 1715, le grand-maître de Malte le nomma

1701,

historiographe de l'Ordre, l'associa à tous les privilèges et lui donna la permission de porter la croix; et le grand Prieur de France lui conféra la commanderie de Santeny. Les dernières années de sa vie furent accablées de grandes infirmités, au milieu desquelles il mourut, en 1735, âgé de près de 80

ans.

L'abbé de Vertot étoit aimable de caractère; il se faisoit remarquer par cette douceur de mœurs qu'on puise dans le commerce de la bonne société; son imagination brilloit dans ses discours, comme dans ses écrits. Ami fidèle, sincère, officieux, empressé à plaire, il avoit autant de chaleur dans le cœur que dans l'esprit. Madame de Staal raconte, dans ses mémoires, que l'abbé de Vertot fut long-temps amoureux d'elle ; et la chronique scandaleuse ajoute qu'elle ne fut pas aussi insensible à cette passion qu'elle le fait entendre.

Si nous considérons maintenant l'abbé de Vertot comme écrivain, il est peu d'historiens, en Europe, qui aient possédé plus éminemment l'art d'attacher le lecteur, de captiver son esprit et de l'intéresser à son sujet. On assure qu'il avoit été désigné pour être sous-précepteur de Louis XV, mais que des raisons particulières le privèrent de cet honneur, dont il

étoit si digne par ses connoissances, et par son esprit.

Les principaux ouvrages de l'abbé de Vertot sont, par ordre de date: 1.9 l'histoire des Révolutions de Portugal; 2. l'histoire des Révolutions de Suède; 3. l'histoire des Révolutions Romaines; 4. enfin, l'histoire des chevaliers de Malte.

L'histoire de Portugal a une marche presqu'épique, et seroit un véritable chef-d'œuvre, si l'auteur se fût montré plus difficile dans le choix des mémoires sur lesquels il a travaillé au reste, le père Bouhours : prétendoit n'avoir jamais rien vu, dans notre langue, qui, pour le style, fût au dessus de cet ouvrage.

L'histoire des Révolutions de Suède nous offre les divers changemens survenus, dans ce royaume, tant sous le rapport de la religion, que du gouvernement. « Nous avons, disoit Mably, un morceau d'histoire

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qu'à bien des égards, on peut comparer à ce que « les anciens ont de plus beau : c'est l'histoire des Ré« volutions de Suède. Quel charme ne cause pas cette « lecture! Je vois par-tout un historien qui, ayant mé« dité sur le cœur humain, montre une grande con« noissance de la marche et de la politique des pas« sions. L'espèce d'embarras qu'on éprouve en lisant « les Révolutions Romaines, vous ne le rencontrez

* pás

dans la lecture des Révolutions de Suède. L'his<< torien me développe la cause des événemens; je

<< ne perds point de vue la chaîne qui les lie; et je

"

marche, à sa suite, en éprouvant toujours un nou<< veau plaisir. » De son côté, La Harpe donneroit aux Révolutions de Suède, la préférence sur tous les autres écrits de Vertot, si l'auteur eût apporté autant de soins à connoître les mœurs et le gouvernement, qu'à embellir, le récit des faits, des grâces de l'élocution.

J'en viens à l'histoire des Révolutions Romaines : C'est là, sans contredit, le chef-d'œuvre de l'auteur; son style est toujours noble et élégant; il n'a pas cette châleur factice de quelques historiens modernes; sa narration est rapide, ses portraits intéressans, quoique d'imagination pour la plupart, ses réflexions naturelles, mais peu profondes. Mably convient bien que l'abbé de Vertot est, de tous nos écrivains, celui qui ait été le plus capable d'écrire l'histoire. Il lui accorde une âme élevée et généreuse. Il reconnoît que son imagination ne le domine pas, et qu'elle ne lui sert qu'à embellir les objets qu'il traite. «Mais, ajoute-t-il, soit que trompé par la facilité et les grâces de son génie, il eut négligé les connoissances préliminaires, soit que content de plaire à ces lec«teurs, qui se croyent toujours assez instruits, quand

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«< ils sont amusés, il formât le dessein de nous don« ner une histoire Romaine, dégagée des détails de

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Tite-Live, j'ai été obligé de suppléer à ce qu'il avoit « passé sous silence; si je n'avois pas été au fait des << affaires des Romains, il m'eût été impossible d'y rien

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comprendre. » A son tour, La Harpe ne se montre guères plus enthousiaste, que Mably, au sujet des Révolutions Romaines; voici comment il s'exprime : Quant à ce que l'abbé de Vertot a écrit sur les Ro« mains, la supériorité des auteurs anciens, qu'il tra

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«

duit le plus souvent, fait trop sentir, à ceux qui les connoissent, ce qui reste à désirer chez lui ; il n'a sçu ‹s'approprier ni l'esprit judicieux de Polybe, qui ins«truit toujours, ni le pinceau de Salluste qui nous <<< fait connoître les caractères. Quelquefois même

"

Vertot, entre deux originaux qu'il peut suivre, ne << choisit pas le meilleur, et traduit Denys d'Halicar<< nasse, lorsqu'il pourroit prendre les plus beaux << morceaux de Tite-Live. » Nonobstant ces critiques plus ou moins fondées, l'histoire des Révolutions Romaines jouit, depuis un siècle, d'une réputation que lui ont, à juste titre, mérité l'intérêt du sujet et le charme du style.

L'histoire des Chevaliers de Malte a été, plus qu'aucun autre ouvrage de l'abbé de Vertot, l'objet

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