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prophetes. Or cette vigilance n'est pas tant un examen curieux de leurs actions, que de celles qu'ils nous infpirent, & aufquelles ils nous portent. Il faut exami ner leurs confeils, & confiderer de près à quoi ils nous veulent engager; s'ils ne nous veulent point rendre partifans de leurs paffions, de leurs juge mens témeraires, de leurs préoccupations. Car encore qu'il ne foit pas toujours clair qu'ils fe trompent, il eft clair néanmoins que leurs confeils font maulvais à notre égard, lorsqu'ils nous veulent infpirer de prendre part à des chofes qui ne nous font point néceffaires, & dont nous ne fommes point capables, & qu'ils nous veulent faire juger de points dont Dieu n'exige pas de nous la connoiffance & l'examen.

VI. Tous les auteurs des factions & des hérefies étoient reconnoiffables par cet endroit. Ils ont voulu engager les peuples à juger des choses dont l'humilité les devoit perfuader qu'ils étoient entiérement incapables de juger. Toute l'Eglife Romaine, leur ont-ils dit, eft pleine d'erreurs: vous devez les condanner avec nous: Mais les fimples leur devoient répondre, qu'étant évidemment incapables de reconnoître ces erreurs dont on leur vouloit faire juger, il leur

étoit évident que ceux qui leur donnoient ce confeil étoient des trompeurs, Ainfi ce n'eft que par la faute des peuples, & par un défaut d'humilité qu'ils fe font laille emporter à ces loups raviffans qui les ont féparés de l'Eglife, & qui fe couvroient pour les tromper, d'un faux zele pour la pureté de l'Evangile, & pour l'Ecriture fainte. C'étoit-la la peau de brebi qu'ils avoient empruntée pour féduire les ames foibles, & peu éclairées; mais qui n'étoit pas néanmoins difficile à difcerner & à reconnoître aux plus fimples, s'ils euffent eu l'humilité qu'ils devoient avoir.

VII. Il femble néanmoins que ce que dit l'Evangile ne s'entende pas feulement de ce qui peut regarder la doctrine, mais géneralement de toute la conduite des faux-prophetes; & que Jefus-Chrift nous veuille enfeigner qu'il y a dans cette conduite des marques qui nous les doivent faite difcerner. Et c'eft auffi ce qui arrive ordinairement: car il eft fort difficile de contraindre fa cupidité à l'égard de certains objets, fans lui donner lieu de fe répandre à l'égard d'autres. L'hypocrifie eft rarement generale. L'amour propre s'échappe toujours par quelque endroit, & cet endroit nous donne lieu de nous défier du refte. La vraie pieté bannit gé

neralement tous les vices; parceque l'efprit de Dieu les hait tous. Mais bien loin que la cupidité les haïife tous, elle en aime néceffairement quelqu'un. La crainte d'être découverte en fait étouffer plufieurs: mais cette crainte n'est pas toujours affez agiflante, ni affez attentive pour éloigner l'ame de toutes fortes de déreglemens. Ceft même un effet de la providence de Dieu de ne le permettre pas. Car pour donner aux vrais Chrétiens un moyen facile de difcerner ceux qu'ils ne doivent pas croire, il permet ordinairement que les hypocrites tom bent dans des vices groffiers; & c'eft ce qu'il a fait à l'égard de la plupart des nonveaux réformateurs, par la vie fcandaleufe qu'il a permis qu'ils ayent menée.

VIII. Au moins les hypocrites ne fauoient éviter de tomber en un certain défaut, qui fuffit pour empêcher les gensde-bien de fe laiffer féduire par eux. C'est qu'il naît de toutes leurs actions particulieres une certaine impreffion génerale qui éloigne d'eux les perfonnes qui ont le fentiment droit. Car cette impreffion qui naît de toutes les actions eft fort differente, lorfque les vertus font finceres & effectives, & lorfqu'elles ne font que contrefaites. On n'en fauroit marquer une

jufte difference, mais on la fent, & on

ne

ne s'y trompe pas quand on a le cœur pur. Or cette impreffion fuffit à tous ceux qui n'ont pas le cœur corrompu, pour empêcher qu'on fe livre à eux. Elle ne fuffit pas pour condanner ces faux directeurs: car on s'y pourroit tromper en prenant une antipathie naturelle pour un fentiment produit par la lumiere de la verité, mais elle fuffit pour ne les pas fuivre. Ainfi la crédulité témeraire de ceux qui les fuivent, eft toujours accompagnée de ce défaut de fentiment que la pureté du cœur donneroit, & que l'impureté & la corruption du cœur gâte & émoufle. De forte qu'il paroît encore par là que l'on n'eft féduit par les faux directeurs, qu'à cause de la mauvaise difpofition de

Ton cœur.

IX. C'eftpourquoi encore que cette parabole de Jefus Chrift, qu'un bon arbrev 18. ne peut produire de mauvais fruits, & un mauvais arbre n'en peut produire de bons, ne fe puifle entendre de chaque action particuliere, n'y ayant point de gens de bien qui ne faffent des fautes qui peuvent paffer en un fens pour de mauvais fruits, ni de méchans qui ne faffent quelques bonnes actions qui peuvent paffer pour de bons fruits; elle peut être fort bien entendue de l'impreffion qui naît de tonte la vie. Car en ce fens il eft vrai qu'un Tome XII.

T

bon arbre ne fauroit produire de mauvais fruits; c'est-à-dire, qu'il naît toujours du corps des actions des gens de bien une impreffion édifiante, qui fe fait difcerner par ceux qui n'ont pas le cœur corrompu par la malignité & par l'envie. Et il est vrai au contraire en ce même fens, qu'un mauvais arbre ne fauroit produire debons fruits; c'est-à-dire, qu'il naît toujours du corps des actions des méchans une impreffion peu édifiante, qui donne de l'éloignement d'eux à ceux qui aiment fin cerement la vertu. On y remarque toujours une recherche de leurs interêts, de leur propre gloire, de leur réputation, de leur commodité. Ils veulent toujours dominer & fe maintenir dans un certain empire fur les autres. Il y a toujours en eux une malignité cachée qui explique tout en mauvaise part, & qui tend à rabaiffer les autres pour s'élever au-deffus d'eux. On a beau diffimuler fes paffions dans fes paroles, elles parlent par les actions qui font le langage du cœur,comme les paroles font le langage de l'efprit. Or ce langage du cœur eft toujours intelligible à ceux qui n'ont pas le cœur gâté, & c'est toujours la faute de ceux qui l'ont mal difpofé, de ce qu'ils ne l'entendent pas, & qu'ils fe laiffent ainsi séduire par les faux docteurs, & n'ont pas pour 1s

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