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concilioit par la diftinction des Dieux nationaux & d'un feul Dieu de toute la nature: Deos populares multos, naturalem unum (1).

(1) Antisthène, cité par Cicéron, de nat. Deor.

ARTICLE V,

Idées des Poëtes Grecs dans les temps fabuleux,

ou IANUIT ET L'AMOUR, PRINCIPES DU MONDE,

S'IL eft vrai que les fages, & même les

peuples, dans les pays civilifés, ont eu les mêmes idées fur la nature & la néceffité d'un premier Étre, il eft évident que les premiers poëtes eurent le même point d'appui, pour élever leur fyftême de cofmogonie. Les poëtes ne bâtiffent guères que fur un fond donné par le public; ils fuivent la renommée. Ceux dont nous parlons ayant adopté avec trop de vivacité & trop peu de discernement le langage & les figures fymboliques qui avoient paffé la mer avec Cécrops, Danaüs, & les autres fondateurs des colonies Grecques, il n'y eut pas une de ces idées étrangeres qui ne fût personifiée, & qui n'eût en cette qualité tous

les accompagnemens individuels qu'il plut à leur imagination d'y attacher.

Ils commencerent par celle de la Nuit, qu'on regardoit dans l'antiquité comme l'état primitif de la Nature avant qu'elle eût pris la forme du Monde (1). La notion de la Nuit primitive comprenoit, chez les Grecs, trois idées, le Cahos, l'Érebe & le Tartare, c'est-à-dire, un espace fans borne, fans lumiere, rempli de matériaux fans forme & fans ordre. On demanda à Thalès lequel étoit le plus ancien, du Jour ou de la Nuit. Il répondit, la Nuit (2). Alexandre le grand fit la même question à un Gymnofophifte des Indes, qui lui répondit bruf quement que c'étoit le Jour. Le prince, qui ne s'attendoit pas à cette réponse, reprit, qu'elle étoit digne de la demande (3). Les Gaulois & les Germains comptoient

(1) Les Egyptiens, dit Plutarque, rendoient des honneurs divins à la taupe, parcequ'elle étoit fans yeux, & qu'ils croyoient les tenebres plus ancien

nes que la lumiere. Quæft. Conviv. 4. 5. Voyez cideffus, page 52.

(2) Diog. Laër, 1. 36. (3) Plut. Vie d'Alex

par nuits, parcequ'ils faifoient la Nuit aînée du Jour: en un mot, la Nuit étoit la Dééffe antique (1), l'origine, la fource de tous les êtres (2). Il fut un temps, difoient les théologiens, où il n'y avoit ni ciel, ni terre, ni mer : tout étoit nuit. Les principes ou élémens, engourdis dans cet abîme univerfel, n'y avoient qu'un mouvement fourd & aveugle; peut-être même n'y en avoient-ils point. Le moment des destins étant arrivé, un point de lumiere étincela au milieu de l'efpace ténébreux, fe développa, & avec lui l'ordre & la beauté de P'Univers (3).

Ces idées brillantes & hardies étant encore trop fimples pour les poëtes & pour le peuple, qui aime bien mieux le merveilleux que la vérité fimple, on donna à la Nuit un corps, une ame, des facultés. On en fit une Déeffe, mere en titre des Dieux & des hommes, qui eut des temples & des oracles (4). On compofa l'histoire

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de fa fécondité. Elle avoit, dans la premiere origine des temps, déposé un œuf au vaste sein de l'Érebe fon époux. De cet œuf, après une longue fuite de fiecles, étoit forti l'Amour aux aîles dorées, portant en sa main le flambeau qui éclaire le Monde & qui l'échauffe (1). Levez les yeux, difotent-ils, contemplez cette voûte immenfe & azurée, fous laquelle fe pro menent les aftres: croyez-vous que ce foit un défert où regnent le vuide & le néant ? C'est le berceau primordial de la Nature:

(1) Ariftoph. Oifeaux, v. 694. En voici la traduction littérale : « Au commencement étoient le Cahos, la Nuit, le noir Erebe, & le vafte Tartare. Il n'y avoit ni terre, ni air, ni ciel, dans les profondeurs fans fin de l'E rebe. La Nuit aux aîles noires enfanta un œuf clair, (fans germe) duquel, après une certaine révolution des temps, fortit l'Amour s'élevant avec des aîles d'or com

me un tourbillon violent. S'étant mêlé enfuite avec le noir Cahos aîlé, dans le vafte Tartare, il produifit notre espece, & nous amena à la lumiere. Les Immortels n'étoient point avant que l'Amour eût mêlé toutes chofes. De ce mêlange furent faits le Ciel, l'Océan, la Terre & toute

la race immortelle des Dieux bienheureux. » Voyez auffi l'Hym. d'Or phée, au Premier-ně.

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