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pour eux, mais qui a fait prendre le change à ceux des Modernes qui n'étoient pas affez initiés dans ces myfteres. Les Grecs diftinguant le néant du non-être, avoient deux mots pour ces deux idées (1). Les Latins ayant rendu ces deux idées par le même mot, nihil, & les François ayant suivi l'exemple des Latins, on a dit que, felon quelques Philofophes anciens, il fe faifoit quelque chofe de rien ; & que felon d'autres,

fe faifoit rien de rien. Il falloit dire, que felon les uns, il ne fe faifoit rien que d'élémens déterminés & fixes dans leur efpece;

&

que felon les autres, il fe faifoit quelque chofe d'élémens variables & indéterminés par eux-mêmes. C'eft le fens du fameux vers de Lucrece :

Nullam rem ex nihilo gigni divinitùs ufquam. « Les Dieux mêmes, s'ils agiffoient dans le Monde phyfique, ne pourroient rien faire que d'élémens déterminés (2).

atômes; & par le nonétre, le vuide, l'un exiftant autant que l'autre.

(1) Μηδὲν & μὴ ἐν.

(2) Faute d'avoir fait cette distinction, nos tra

Ceux qui croyoient à la matiere premiere, croyoient auffi que les qualités sensibles, le chaud, le froid, le fec, l'humide, devenoient inhérentes aux différens élémens qui nous les font fentir. Les autres se bornant aux qualités purement méchaniques, l'étendue, la figure, prononçoient avec affurance que les autres qualités fenfibles n'étoient point dans les corps; que ce n'étoit qu'une maniere de fentir, réfidente en nous (1). Ce pas étoit hardi. Ce fut toutefois un des premiers que fit la Philofophie

ducteurs de Lucrece ont rendu à contre fens plus de 200 vers de fon premier livre,

(1) Nous réduisons à deux les opinions fur les Principes élémentaires, quoiqu'il paroiffe y en avoir trois: la premiere, qui fuppofe une matiere abfolument fans forme; la feconde, qui fuppofe que cette matiere eft eau, ou feu, &c. la troifieme, qui fuppofe qu'elle eft en corpufcules indeftru&ti

bles, qui n'ont que la figure & l'étendue. Il est évident que la feconde rentre dans la premierę ou dans la troifieme: dans la premiere, fi la matiere qui eft eau ou feu quitte fa nature pour en prendre une autre ; car alors il y a corruption & génération: dans la troifieme, fi la matiere n'eft fujette qu'à des condensations, des raréfractions & des arrangemens nouveaux, fans perdre fa nature effentielle.

ancienne. Il n'y a que la prévention ou l'ignorance qui ait pu entreprendre de lui en ôter l'honneur. Quand on demandoit à Leucippe, à Démocrite, à Empédocle, à Épicure, d'où venoit dans les corps le doux, l'amer, le chaud, le fec, les couleurs, &c. ils répondoient tranquillement que ces qualités n'y venoient point, parcequ'elles n'y étoient point (1); que de deux hommes qui boivent le même vin, l'un le trouvoit doux & l'autre dur; que de deux. hommes qui fe baignent dans la même eau, P'un la trouvoit chaude, l'autre froide qu'une dame de Sparte s'étant présentée à Berenice, femme du roi Déjotarus, elles s'étoient fauvées l'une de l'autre, parceque l'une fentoit le beurre & l'autre les parfums; que c'étoit une preuve évidente que ces qualités fenfibles n'étoient rien en foi, & que les fenfations que les différens êtres occafionnoient en nous, n'étoient qu'opinions, idées, façons d'être affecté. D'où ils tiroient en Métaphyfique une (1) Plutarq. adv. Colot. 1109. B,

;

autre conféquence évidente, Que toutes nos fenfations avoient la vérité qu'elles pouvoient avoir (1); que rien n'étoit bon ou mauvais que relativement; que perfonne ne pouvoit ni ne devoit juger des qualités relatives des chofes, que par la fenfation qu'elles lui faifoient éprouver; enfin que la fenfation étant le feul inftrument des connoiffances humaines,il s'enfuivoit qu'en derniere analyse, non-seulement l'homme, mais chaque homme en particulier étoit, pour lui, la mesure de tout (2). Ce principe alloit loin: notre objet n'est pas de le fuivre. Il nous fuffit d'avoir déterminé autant que nous l'avons pu, quelques-unes des principales notions dont nous aurons befoin ci-après.

(1) Voyez la Morale 'Epic. pag. 231.

(2) C'étoit le principe

de Protagoras. Arift. Metaph. 10. 6.

ARTICLE II.

ou

Thalès,

L'ÉLÉMENT HUMIDE.

THALES & Pythagore, tous deux peres de la Philofophie Grecque, l'un dans la partie de l'Afie mineure, qui s'appeloit Jonie; l'autre dans celle de l'Italie qu'on nommoit la Grande Grece, parurent à peu près dans le même temps, environ 500 ans avant J. C. Le premier, doué d'un fens droit, qui le portoit à obferver, l'autre rempli de feu, qui le portoit à l'enthousiasme, ils marquèrent en entrant dans la carriere, les deux manieres de philofopher qui ont toujours été paralleles jufqu'à Defcartes & Newton, & qui probablement iront au-delà. Le fang froid, qui fixe fon regard fur les objets, & qui femble devoir être l'attribut diftinctif du Philofophe, eft fans doute le plus fûr moyen d'arriver à la vérité; cependant l'enthou

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