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ARTICLE III.

Héraclite & Zénon le Stoïcien:

ou L'AME UNIVERSELLE CONFONDU AVEC LE DESTIN.

ON

N fe fouvient d'avoir vu chez les Hébreux & les Chaldéens, la Lumiere créée ; Mithras, Dieu du feu, chez les Perses; l'Amour, armé d'un flambeau, chez les Grecs des temps fabuleux. L'École de Pythagore recueillit ces idées; & tandis que Thalès, chef de l'École Ionienne, faifoit tout naître de l'eau, celui de l'École Italique vouloit que tout vînt du feu. Hippafus, Parménide, Philolaüs, Empédocle, croyoient que le feu étoit un premier principe; mais Héraclite d'Ephèfe crut qu'il étoit le feul: Ex igni fummam confiftere folo (1). Nous prendrons pour texte, dans cet article, le précis de la doctrine d'Héraclite, qui fera renfermée en deux mots; (1) Lucret. 1. 637. Voyez Stanlei, pag. 839.

T

celle de Zénon en fera le commentaire.

Héraclite partageoit la fubftance univerfelle en corpufcules de feu, auxquels il donnoit non-feulement le mouvement lo cal, mais encore celui d'effence & d'altération de nature (1), par lefquels ils devenoient air, eau, terre, en fe condenfant; & de terre, eau, air, feu élémentaire, feu éthéré, en fe raréfiant: allant & revenant d'un état à l'autre par ces deux routes, qu'il appeloit, l'une la route d'en haut, & l'autre la route d'en bas. Toute la Nature n'étoit qu'un grand fleuve qui couloit fans ceffe dans l'espace (2).

Pour opérer ces tranfmutations, le Philofophe ne pouvoit fe difpenfer d'affigner une caufe: Il y a, difoit-il, dans l'Univers » un Être doué de connoiffance, une Rai

fon qui parcourt & pénetre l'effence » des êtres ». Or cette raifon il l'appeloit Deftin. Qu'entendoit Héraclite par ce mot? Les Savans n'ont point de texte ni d'auto

(1) Voyez ci-dessus, pag. 194.

(2) Res more fluminis continenter labi & fluere.

tité décisive pour répondre nettement. Et plutôt que de nous perdre avec eux dans des conjectures incertaines fur les pensées d'un homme qui a voulu être obfcur (1), rapportons-nous -en aux Stoïciens, qui femblent avoir fuivi pas à pas le philosophe d'Ephese.

ZÉNON, né à Cittium, ville de Chypre, & furnommé, par cette raifon, le Cittien, pour le diftinguer de Zénon d'Élée & de plufieurs autres Zénons connus dans l'hiftoire, commença à paroître dans le Portique vers la CXX Olymp. environ 300 ans avant Jefus-Christ.

Pendant les trente premieres années de fa vie, il ne fe douta nullement qu'il fût destiné à fonder une fecte de Philofophes. Phénicien d'origine, commerçant par éducation & par état, il ne fongeoit qu'à faire valoir fes fonds & à les augmenter, lorf qu'un coup de vent engloutit fes vaisseaux,

(1) Heraclitum quoniam quid diceret intelligi noluit, omittamus. Čic. de Nat. Deor. 3.14. Socrate

difoit que par-tout, pour

l'entendre, il faudroit avoir un plongeur de Dé los.

& lui enleva jufqu'à fon crédit. La Philo fophie, qu'il connoiffoit déja, lui offrit dans ce moment un port : il eut le bon efprit de l'accepter.

Il y avoit alors à Athènes de quoi choifir. Toutes les routes étoient non-feulement ouvertes, mais frayées. Ariftote, mort depuis vingt ans, avoit laiffé à Théophrafte la gloire du Lycée; Polémon occupoit la chaire de Platon; Cratès avoit hérité de la diploïde ou double manteau de Diogène ; Épicure, affis dans fes jardins, prêchoit l'inaction d'après Ariftippe & Hieronymus de Rhodes; enfin Arcéfilas & Carnéade foutenant le pour & le contre, réduifoient tout à de fimples probabilités.

Zénon entendit tous ces maîtres, & fut profiter de leurs leçons. Mais la fâcheufe expérience qu'il avoit faite des caprices de la fortune, & fur-tout une certaine triftesse de caractere le tournant vers l'auftérité, il fe livra entierement à Cratès, & il embraffa la fecte cynique (1), dont pour(1) Antifthène, difciple de Socrate, en étoit le chef,

tant il ôta l'indécence & adoucit les prétentions. Il donna fes leçons dans le Pécile, ou le Portique peint par Polygnote, en Grec Stoa, d'où eft venu à fa fecte le nom de Stoïcien.

On ne dira point de Zénon, comme de certains Philofophes, que femblable aux inftrumens de mufique, il rendoit des fons harmonieux, & ne les entendoit point. La haute idée qu'il donna du fage ne fut pas tout à fait un paradoxe, tant qu'elle fut foutenue de fon exemple. Il eut des difciples dignes de fa réputation, parmi lesquels on compte Cléante, qui n'eut pas le caractere moins élevé que fon maître; Panétius, qui fut l'ami de Scipion; Poffidonius, devant qui le grand Pompée abaiffa les faisceaux de l'empire. On y ajoute Caton d'Utique, Se. neque, Thrafeas, Petus, l'empereur MarcAntonin & quelques autres, dont les maximes austeres, jointes à la hauteur du cœur Romain, ont mis le comble à la gloire du Portique.

Le champ de la Philofophie étoit f

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