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une roideur inflexible. Ils eurent recours à cette finesse de quelques Théologiens modernes, qui confondent le volontaire avec la liberté du choix (1). Mais c'étoit un de ces endroits foibles par où Carnéade (2), purgé d'ellebore, attaquoit avec le plus de fuccès les Stoïciens : Ducunt volentem fata, nolentem trahunt. Ce feul aveu lui donnoit la victoire.

Pour récapituler en peu de mots toute la doctrine des Stoïciens, le Monde, fous la direction de la Divinité, ou plutôt Dieu lui-même, animant le Monde, n'étoit dans le fait, & à proprement parler, qu'une horloge animée, qui fe plaifoit à compter elle-même les heures qu'elle marquoit né ceffairement. Il pouvoit fe rappeler le paffé, prévoir l'avenir, fe faire des idées ; mais ces idées n'influoient en rien fur l'état des êtres; cette Providence, dont on faifoit tant de bruit dans le Portique, étoit tout au plus un reffort machinal, c'est-à

(1) Non externa Deos legem, volunta:em effe. cogere, fed fuam illis in (2) Aulu-Gelle.

dire, gouverné plutôt que gouvernant. Ce n'étoit, comme Varron le reproche aux Stoïciens, qu'une vieille Fée, qui n'avoit d'idées que ce qu'elle en recevoit du Destin, & qui ne répétoit que ce qu'elle avoit appris de lui: Anus fatidica (1). Ce qui n'empêchoit pas que Dieu, felon les Stoïciens, ne fût très-bon, très-fage, très-juste, trèspuiffant, même très-libre. Le peuple, qui ne favoit pas le fond des pensées, croyoit qu'on louoit fes Dieux, tandis qu'il s'en falloit peu qu'on ne se moquât d'eux, comme on fe moquoit réellement de lui (2).

Cependant on doit dire, pour leur juftification, que les Stoïciens n'ont guères dit, dans leur fyftême de phyfiologie, que ce qui avoit été dit dès les temps fabuleux, & enfuite répété dans toutes les Écoles Grecques, où on a admis la Divinité. Mais au lieu de laisser, fur une matiere fi pro

(1) Cic. de Nat. Deor.

7.8.

(2) Voyez l'article 7 de la Morale d'Epicure où

on fait voir qu'en derniere analyse, les principes des Stoïciens rentroient dans ceux d'Epicure.

fonde,

fonde, un certain voile refpectueux, qui auroit couvert auffi la foibleffe des pensées humaines, ils voulurent analyfer jufqu'au bout un fyftême qui n'étoit appuyé que fur des notions imparfaites: ce fut la fource de leurs erreurs. Quand les Géometres s'élevent dans leurs fpéculations, ils ont pour base des quantités données, dont ils ont des idées précifes: c'eft pour cela que leurs réfultats font juftes. Mais quand, fans connoître ce que c'est que fubftance, m vement, caufalité proprement dite, fans à avoir d'autres idées des chofes divines & éternelles, que celles que nous avons des chofes terreftres & paffageres, nous voulons rendre compte de la Divinité; plus nous allons loin, plus nos erreurs deviennent abfurdes.

, mou

Les Stoïciens, accoutumés à définir, à divifer, & fur-tout à ne jamais douter, furent pouffés par leurs adverfaires dans des conféquences qu'ils n'avoient pas prévues, & qu'il leur fallut admettre, pour ne point abandonner l'honneur de

l'École, qui auroit été compromis.

Pour couvrir en partie ces défauts, ils employerent les fubterfuges. Ils fe firent un rempart épineux de dialectique : Spinofum differendi genus (1). Ils y joignirent l'appareil éclatant, d'une Morale toute en paradoxe, qui impofa au peuple, à ce peuple auquel les Philofophes ne manquent guères d'en appeler, quand ils fe fentent trop preffés : & malgré l'abfurdité des principes & l'énormité des conféquences, l'École fe foutint par l'éclat éblouiffant des paradoxes & par la gravité des mœurs. Nous n'ofons encore aujourd'hui la juger en rigueur, à caufe de fon enthou fiafme & de fes grands exemples de vertu. (1) Cic. de Finib. 3.4°

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SECTION III.

LES PHYSICIENS.

LE
E Destin, cause aveugle du Monde,
pere & maître des Dieux, des hommes, de
tous les êtres, fans être Dieu lui-même
ni avoir aucune effence déterminée, étoit
une énigme abfurde, bonne tout au plus
pour le peuple, qui, n'ofant s'en prendre
aux Dieux dans ses malheurs, aime mieux,
comme les enfans, frapper fur une caufe
vague & imaginaire, que de refter fans
vengeance (1).

D'un autre côté, cette diftribution muficale d'une Ame univerfelle depuis le centre du Monde jufqu'à fa circonférence & au-delà, n'étoit qu'un vain assortiment d'idées agréables, un jeu d'efprit, bon pour amufer des lecteurs frivoles (2). Les fubti

(1) Quanti hæc Philofophia æftimanda eft, cui tanquam aniculis, & iis quidem indocis,fato fieri

videntur omnia? Cic. de Nat. Deor. 1.

(2) Arift. de Calo, 2.

9. B.

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