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prirent le parti de ne les regarder que comme nous faifons aujourd'hui les difputes d'École. Platon traitant également le pour & le contre, & fous d'autres noms que le fien, nous fait affez fentir que ces opinions, bonnes pour amufer un bel efprit défœuvré, ne méritoient pas qu'un homme fenfé en époufât aucune. Arcéfilas pouffa plus loin ce fyftême d'incertitude; & Pyrrhon alla jufqu'à douter de fa propre existence, & même de fon doute. Ainfi la Philofophie fystématique, dans quelque route qu'elle s'engageât, aboutiffoit toujours à quelque abfurdité.

Quelles idées de vertu pouvoient naître de cette confufion de pensées? quels principes de conduite pour les fociétés & pour les particuliers? Auffi tous ces beaux Traités de fageffe, tous ces magnifiques préceptes développés avec tant d'éloquence dans les écrits fameux de nos Philofophes, font-ils moins les réfultats de leurs vues métaphyfiques, que les expreffions recueillies de la voix de droiture & d'équité qui

fe fait entendre dans tous les cœurs; que l'extrait raisonné de cette tradition univerfelle du genre humain, de cet amour inné du beau & du bon, du vrai & du jufte, que nos Philofophes perdoient de vue dans l'analyse, mais qu'ils retrouvoient dans le fentiment, pour en faire la loi de confcience de l'homme, & le code de toutes les fociétés. Où en feroient les peuples, fi la Morale qui les gouverne n'eût pu être que le résultat des fyftêmes que nous avons vus? Cette Morale eût été chancelante dans tous fes points; & fi l'on eût compté les voix, loin de nous conduire à la fociété, elle nous eût prefque toujours réduit à l'état de brute & de guerre. Notre fageffe, dans le plus haut point de fa perfection, n'eût été, en derniere analyse, qu'un fyftême rafiné d'intérêt perfonnel, réduit lui-même au feul plaifir des fens... Je m'arrête, parceque ce n'est pas ici le lieu de faire des réflexions, ni de tirer des conféquences.

TROISIEME ÉPOQUE.

PRÉCIS DES OPINIONS DE QUELQUES
PHILOSOPHES MODERNES SUR LES
CAUSES PREMIERES.

:

I.

Siécles ftériles pour la Philofophie. LA Philofophie, qui depuis trois ou qua

tre fiecles avoit fait de la Grece fon cheflieu, & comme fa métropole, envoya des efpeces de colonies dans les villes fameufes, à Rome entre autres, & à Alexandrie.

Celle-ci, qui venoit d'être fondée, & qui, par le nom de fon fondateur, avoit droit à toutes fortes de gloire, devint en peu de temps le point de réunion de tout ce qu'il y avoit de génies célebres dans l'Orient, & par-là l'École centrale de l'Afie, de l'Afrique & d'une partie de l'Eu rope.

D'un autre côté, Rome en poffeffion, depuis plufieurs fiecles, de donner des loix à l'Occident; Rome, dont la puiffance & les vertus éblouiffoient l'Univers, n'offroit `pas un théâtre moins brillant aux efprits qui tendoient à la gloire. Mais comme chez elle on ne s'occupoit des fciences & des Dieux, que relativement au bonheur des citoyens ou à l'agrandiffement de l'empire, les questions de pure spéculation y firent d'abord peu de fortune. Ce ne fut que fous l'extérieur de la sévérité cynique & des paradoxes de Zénon, qui paroiffoient aller au fublime des mœurs, que la Philofophie put s'attirer l'attention des Romains. On leur parla de refferrer les bornes de l'intérêt particulier, & d'éten dre les droits de la patrie. C'en fut assez pour leur faire adopter des principes, ou plutôt des conféquences, qui fembloient propres à fortifier l'efprit du gouvernement, & à élever ce courage mâle, qui n'a de nom dans les langues modernes, que celui de la nation qui en a donné

l'exemple. Nous avons dit adopter; carles Romains, Varron, Lucrece, Cicéron, Séneque, Pline, n'ont parlé de la nature des Dieux & des principes de l'Univers, que d'après ce qu'en avoient dit les Grecs. Tout ce qu'on trouve chez eux n'est que commentaire, ou citation, ou traduction, Apparemment qu'ils étoient arrivés trop tard pour être inventeurs; ou plutôt, que la partie de ce peuple roi étoit de subjuguer les nations & de les gouverner.

Les premiers Philofophes Grecs qui vin rent à Rome, furent Carnéade, Diogène le Stoïcien & Critolaüs. La ville d'Athènes les avoit choifis pour aller plaider sa cause devant le fénat Romain, & faire adoucir un décret qui la condamnoit à payer cinq cens talens, pour avoir ruiné la ville d'O→ rope dans la Béotie. L'éloquence de Carnéade éblouit la jeuneffe Romaine ; mais elle fit trembler le vieux Caton: fur-tout quand il eut entendu ce philofophe parler un jour en faveur de la juftice, & le lendemain détruire tout ce qu'il avoit dit la

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