Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Chrétiens, qui verfoient leur fang pour la vérité, crurent ne devoir point négliger les autres moyens de la défendre. Ils donnerent l'expofition de leur foi ; ils la prouverent, citerent en leur faveur les aveux des plus fages Philofophes ; & firent voir que les fyftêmes qu'on leur oppofoit n'étoient rien moins qu'appuyés fur des idées claires, ou qu'on y tiroit des conféquences qui n'étoient pas clairement dans les prin cipes. La Philofophie alors commença à fentir qu'elle s'étoit trop avancée. Elle chercha, par des interprétations bénignes de fes propres pensées, à fe rapprocher fur plufieurs points, des dogmes chrétiens, qui d'ailleurs étoient plus conformes à la raifon. La différence effentielle du corps & de l'efprit fut reconnue,& marquée avec plus de précifion qu'elle ne l'avoit été jusqu'alors. La multiplicité des Dieux devint allégorique : Jupiter, Junon, Neptune, Vulcain, ne furent que les noms d'une même puiffance qui s'exerce fur différentes. parties de l'Univers. L'éternité de la Ma

tiere, de certaine qu'elle avoit paru jusques là, devint d'abord problématique ; puis on fentit la néceffité de la création, dont Hieroclès, dans le Ve fiecle, voulut faire honneur à Platon. Enfin laffe, & même honteufe de tant de courses, de fes allées & de fes retours perpétuels de la vérité à l'erreur, du sentiment intime à la difcuffion, de la croyance raisonnable au doute raisonné, la Philosophie se remit, en ce qui concerne les Causes, à peu près au même point d'où elle étoit partie: reconnoiffant l'unité de Dieu, fon pouvoir abfolu fur toute la Nature, fa providence paternelle fur tous les hommes, & la vie de l'ame humaine après la mort du corps: c'étoit la Foi premiere du genre humain.

Il femble que la Philosophie, inftruite par quatre fiecles d'efforts inutiles, auroit dû s'en tenir pour toujours à ces points fixes, & porter d'un autre côté ses vues, Mais graces à l'inquiétude & à la confiance de l'efprit humain, les erreurs des peres fervent rarement à inftruire les enfans.

La Philofophie revint, dans les fiecles poftérieurs, à fes premiers erremens. Ce ne furent d'abord que de fimples recherches fur la maniere de concevoir ou d'expliquer les Causes, fans toucher à la substance des dogmes: la religion fervoit de frein à la licence. De-là on vint peu à peu à des doutes fur le fond même de la doctrine, & de ces doutes on fe replongea dans les questions interminables où la Grece s'étoit égarée pendant quatre cents ans.

Nous ne rentrerons point dans ces vaines fpéculations, qui quoique rajèunies de fiecle en fiecle par le mêlange des idées, ne contiennent rien de nouveau, ni qui mérite aujourd'hui d'être recueilli. Irionsnous parler des Gnoftiques, des Marcionites, des Bafilidiens, des Ebionites & des autres illuminés, qui n'ont fait qu'un cahos monftrueux des opinions philofophiques & des traditions orientales mêlées avec les idées de la foi? Nous engagerions-nous dans la philofophie des Peres de l'Église, qui, dans la matiere préfente, n'ont guères

eu d'autre objet que de concilier Platon avec la Foi, ou d'expliquer la Foi par Ariftote? Nous arrêterions-nous à celle des Scholaftiques, qui n'ont fait qu'ajouter à la philofophie des Peres une forme hériffée & un fatras de queftions inutiles, fouvent ridicules? Le Lecteur nous faura gré de le transporter tout d'un coup dans ces temps heureux, où l'efprit humain renouvellé, fi j'ofe m'exprimer ainfi, par l'ignorance de douze fiecles, & renaissant de lui-même, fans préjugé, nous donnera une Philofophie toute nouvelle.

On fent bien que je veux parler du fiecle de Descartes, de cet homme de génie qui a fixé en lui l'époque du renouvellement des sciences, & qui a appris au genre humain à penser : car c'est ainsi que l'Europe a parlé de lui pendant un fiecle.

II.

Defcartes & Mallebranche.

DESCARTES nous a appris à penfer. Ceux même qui ne font point Cartéfiens

parlent ainfi de Defcartes. Me fera-t-il permis de m'arrêter un moment fur cette façon de parler, que beaucoup de gens ont pris trop à la lettre ?

On n'avoit donc point penfé en Allemagne, où Copernic & Tycho-Brahé venoient de donner une confiftance fixe aux pensées les plus hardies des hommes fur le systême du Monde. On ne pensoit point en Italie, où le génie de Galilée découvroit chaque jour aux Aftronomes de nouvelles merveilles; en Angleterre, où Bacon donnoit le fyftême encyclopédique des fciences actuelles & poffibles.

On n'avoit point pensé à Rome, à Athenes, en Egypte, à Babylone: il faut le dire, malgré nos refpects, j'ai prefque dit notre adoration, pour les reftes fublimes des penfées de Rome & d'Athenes; malgré les chefs-d'œuvre de poësie, de peinture, de politique, d'éloquence, d'architecture; malgré la grandeur d'une infinité d'entreprises civiles & militaires, dont l'exécution nous étonne à caufe de fa hardieffe & de l'étendue

« AnteriorContinuar »