Imágenes de páginas
PDF
EPUB

c'étoient des lumieres foibles & timides, qui n'ofoient contredire ouvertement les extravagances reçues. Leur maniere d'enfeigner, couverte d'allégories, confpirant avec l'ignorance de ces temps, ne faifoit qu'augmenter l'enthoufiafme, loin de le diminuer. Promethée, Orphée, Linus Musée, Eumolpe, Thomyris, Amphion, Melanippe, Théologiens des temps fabuleux, dont les noms font parvenus jusqu'à nous, ont connu la vérité & n'ont pas eu le courage de la publier.

J'ai dit Théologiens, car c'est toujours par-là que les Savans ont commencé, chez les Grecs comme chez les autres peuples. Mais les Grecs ne s'en tinrent pas à ce feul genre : ils eurent des Poëtes & des Phyficiens, qu'il faut foigneufement diftinguer des Théologiens dans l'époque où nous fommes.

Les Théologiens ne traitoient des Causes que conformément à la tradition immémoriale des peuples, & relativement aux devoirs de reconnoiffance, de piété & de

religion, qui lient les hommes entr'eux & avec la Divinité : c'étoit la science des chofes divines & humaines par la foi du genre humain.

Les Poëtes, que nous ne confiderons ici que par rapport à la fiction, étoient les favans qui revêtoient les dogmes religieux de figures & d'ornemens fymboliques de toute efpece; qui animoient le monde moral & le métaphyfique, auffi-bien que le phyfique; qui mettoient tout en action, & par conféquent tout en acteur. Le rythme & le chant, ajoutés à leur expreffion, donnerent un nouveau degré de force à leurs fictions; & comme ils chantoient la Théologie antique, ornée à leur maniere, les peuples, féduits par l'expreffion, s'arrêterent aux images & oublierent la vérité.

Les Phyficiens ou Philofophes, qui n'arriverent que long-temps après les Théologiens & les Poëtes, chercherent à expliquer la Nature par l'action des Caufes fe

condes, en faisant abftraction de la Cause premiere, quelquefois même en l'ex

cluant, par oppofition aux Théologiens. Les Causes secondes réfidoient dans les qualités inhérentes aux premiers principes phyfiques obfervés par les fens, ou ima ginés par l'analogie avec les choses senfibles.

Nous nous occuperons ici des Théologiens & des Poëtes feulement, renvoyant à la troifieme époque ce qui concerne les Phyficiens ou les Philofophes proprement dits.

ARTICLE II.

ARTICLE II.

Théologiens des temps fabuleux.

ou LINUS ET ORPHÉE.

QUOIQU'IL nous refte peu de chofe

des temps fabuleux, & que ce peu foit affez obfcur par lui-même, & de plus, affez médiocrement authentique, toutefois, dans la matiere que nous traitons, on peut en tirer quelques lumieres fures jufqu'à un certain point; parceque fi tous les textes qu'on a ne font point des auteurs dont ils portent les noms, du moins font-ils d'une très-grande antiquité, étant cités comme très-anciens par des auteurs très-anciens eux-mêmes. Et quand même ils feroient d'une fabrique plus nouvelle, étant compofés de matériaux antiques (1), & crus tels, ils feroient toujours d'une grande autorité.

(1) Ceux qui prétendent que les hymnes d'Orphée font fuppofés, les attri

buent à un certain Onomacrite, Athénien, qui vivoit 600 ans avant J.C. G

Il fut un temps, dit Linus (1), où tous les êtres prirent naiffance. De quelque façon qu'on envisage ce texte, il annonce néceffairement deux chofes, la naissance du Monde, & un principe antérieur à cette naiffance; rien ne pouvant naitre de rien, ni passer d'un état à un autre fans quelque cause au moins déterminante. Linus reconnoiffoit donc une pareille caufe, à qui le monde étoit redevable de fon état actuel.

Dans des fiecles auffi ignorans que nous nous figurons ceux-là, peut-être affez gra. tuitement, c'étoit une grande & importante notion, qui fuppofoit beaucoup d'idées, & qui en entraînoit un grand nombre après elle.

Orphée, difciple, ou, felon d'autres, maître de Linus, étoit, dit-on, Thrace

Cette date n'eft guères moins refpectable que ne le feroit celle d'Orphée.

(1) Linus, felon plufieurs auteurs anciens, avoit écrit une Colmogonie qui commençoit par ce vers. Diog. Laer.

I. S. 4. On prétend qu'il inventa le rythme & le vers lyrique, & qu'il eut entr'autres difciples, Hercule, Thamyris, Orphée. Hercule, dit on, le tua dans un accès de colere. Diod. Sic. 3.pag. 140..

« AnteriorContinuar »