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Je pourrois enfin goûter & toucher, c'est-à-dire, avoir le cerveau émû par ce qui remueroit les parties de ma langue ou de ma main; & n'avoir que du corps.

que la faim,

corps.

Je pourrois auffi avoir faim, c'est-à-dire, que cer- ce que c'eft taines artères pourroient laiffer couler une eau cou-ne confide pante,comme de l'eau forte,dans le fond de mon efto- rer que le mac, laquelle picottant fes membranes, exciteroit le nerf qui y répond, & enfuite le cerveau, de la maniere qu'il le doit être, pour laiffer couler des efprits dans les muscles propres à transporter mon corps du côté où feroient les alimens, qui d'ailleurs pourroient émouvoir en même temps mon cerveau par l'entremise des yeux ou du nez.

que la foif.

Je pourrois auffi avoir foif, c'est-à-dire, que cer- ce que c'eft taines exhalaisons féches, fortant des chofes qui font renfermées dans mon eftomac, & quelquefois des artéres fituées le long de l'ofophage, pourroient s'attacher à la membrane qui s'étend depuis la bouche jufqu'à l'eftomac, & me deffécher le gofier de forte, que les nerfs qui y répondent, agitez pendant cette féchereffe d'une autre façon qu'il n'est convenable à mon corps, pourroient exciter mon cerveau aux endroits répondans aux mufcles, dont l'action le peut conduire vers l'eau, ou vers les autres liqueurs, qui peut-être en même temps émouveroient mon cerveau par l'ébranlement qu'elles cauferoient aux nerfs des yeux, du nez, ou de quelque autre partie

de mon corps.

Je pourrois, dis-je, avoir toutes ces chofes, & n'avoir que le corps.

La douleur.

Mais il n'eft pas poffible ( ce me femble ) que je les fente, & que je m'en appercoive, dés qu'elles arrivent, fans avoir une ame, & fans que cette ame foit unie au corps, que je nomme le mien.

Et, afin d'examiner bien cecy, je commenceray par les choses, que je fens le plus vivement & le plus diftin&tement, pour en appliquer les notions à celles qui pourroient être plus confuses, & qu'ainsi je sois moins en danger de me tromper.

Si j'ay de la douleur, lors qu'on me pique au bout du doigt, je ne puis dire que cela vienne fimplement de ce que je fuis un corps. Car, fi je n'étois que cela, je pourrois à la verité avoir le bout d'un doigt entr'ouvert; le dérangement de fes parties pourroit être assez grand,pour faire paffage au fang des veines & des arteres qui y aboutiffent; & les nerfs qui s'y étendent, en étant ébranlez, pourroient communiquer un mouvement violent & convulfif à mon cerveau,y troubler le cours des efprits, & les faire couler dans des muscles qui feroient faire d'étranges mouvemens en tout mon corps. Je conçois même que les efprits pourroient enfler les muscles de la poitrine, de forte que comprimant le poulmon, ils en chafferoient tout l'air par la trachée-artére, qui, felon qu'elle feroit plus ou moins ouverte, pourroit caufer des fons plus où moins aigus. Mais cela n'est pas fentir.

Auffi fi je n'avois qu'une ame, je pourrois bien m'appercevoir de tout ce qui fe paffe dans le corps,que je viens de décrire, fans prendre aucune part à la deftruction de ce corps ; & n'ayant aucun`interêt à sa conservation,

confervation, j'en connoîtrois le defordre, comme celuy de quelque autre machine, fans en recevoir aucune alteration fâcheuse. Et cela n'eft pas fentir de la douleur.

Mais, il eft certain que, fi par la puiffance qui a fait ce corps & cette ame, ils font en telle difpofition, qu'il y ait un rapport neceffaire entre les penfées de l'une & les mouvemens de l'autre, en forte que cette ame ait interêt que les mouvemens de ce corps foient toûjours juftes, & les organes qui y fervent, bien ordonnez; elle ne pourra s'appercevoir de l'état violent ou contraire à l'œconomie de ce corps qu'avec douleur.

Ainfi, fi je fens de la douleur, ce n'est pas parce que j'ay un corps feulement, ou que j'ay une ame feulement; mais parce que l'un & l'autre font unis, Il en eft de même de la volupté par la raison con- La volupté.

traire.

dement.

Quant au chatouillement, la maniere dont il ar- Le chatonil rive, m'en fait connoître la caufe: car je voy que, quand la même pointe, qui en entrant dans l'une de mes lévres, me feroit de la douleur, paffe deffus comme en coulant, & fans y appuyer ; je fens cela avec des émotions telles qu'on les a, lors qu'on voit un mal fort prochain, mais dont on croit être à couvert. En effet cette pointe femble menacer le corps de le détruire par l'endroit auquel elle est appliquée; & le mouvement du cerveau, qui cominence d'en être ébranlé, fait craindre à l'ame ce qui pourroit luy caufer une extréme douleur: mais tout auffi-tôt cette

Le fenti ment de la

pointe, quittant l'endroit qu'elle menaçoit, pour pas fer à un autre, & ainfi de fuite, eft caufe (par ces petits ébranlemens qu'elle fait en differentes parties du cerveau, au lieu de ceux que l'ame appréhendoit) que l'ame conçoit une volupté contraire au mal dont elle étoit menacée. Et c'est ce qu'on appelle chatoüillement, qui peut être causé, non seulement par une pointe, mais par une humeur, ou autre liqueur qui s'épandra fur une membrane. Enfin toute matiere, dont les parties ont des figures & des mouvemens tellement proportionnez à l'état du corps, qu'elle ne les pique ou ne les meut qu'autant qu'il faut, pour faire craindre la douleur, & pour ne la pas faire fentir, caufera le chatouillement, qui n'eft autre chofe que le plaifir,que l'ame a de voir que ce qui meut le corps, pour lors n'agit pas auffi fort, qu'il feroit neceffaire pour le détruire; ou de ce que le corps est assez robufte pour y refifter. Souvent il arrive que, pour perpetuer ce plaifir, on frotte l'endroit où quelque humeur chatoüille : ce qui luy causant un plus grand mouvement, cause d'abord un fentiment un peu plus fort, c'est-à-dire, une volupté plus fenfible. Mais enfin le mouvement devenant trop grand, va jusqu'à la douleur, d'où vient que dans les demangeaisons fi on fe gratte, on ne sçauroit éviter une extréme cuiffon.

Maintenant il m'eft aifé de reconnoître de la faim faim & de & de la foif, les mêmes chofes que j'ay reconnues de la douleur & de la volupté. Car il eft certain que, fi je n'avois que le corps corps, cette liqueur qui coule des

la foif.

árteres, pour picoter les membranes de l'eftomac, ou ces exhalaifons qui defféchent le gofier, pourroient faire tous les effets qu'elles produifent fur le cerveau, & l'obliger à s'ouvrir vers les endroits les plus convenables, pour faire que les efprits paffant dans les nerfs, allassent dans les muscles, dont l'action peut tranfporter le corps vers les alimens ou vers l'eau : mais cela n'eft pas fentir. D'ailleurs une ame pourroit s'appercevoir de tous ces mouvemens, foit de l'eftomac, foit des efprits, foit de tout le corps, fans y prendre part; & cela n'eft pas fentir la faim. Mais quand mon ame, qui prend tant d'intérêt à tout ce qui peut conferver mon corps en état d'être mû commodement, s'apperçoit qu'il a besoin d'aliment pour reparer les efprits diffipez, ou de rafraîchiffement pour les calmer, ou enfin d'une liqueur qui faffe couler certaines parties trop arrêtées; elle reffent une espece de mal, qui eft different selon qu'il eft caufé par le défaut du manger, ou par celuy du

boire.

Or je dois d'autant plus confiderer ces effets de la faim & de la foif, que je croy que les alimens font les caufes des premieres paffions, que mon ame ait reffenties, depuis qu'elle a été unie au corps. Et,pour le connoître, il faut que je faffe un peu de reflexion en cet endroit fur toutes les chofes, dontil me semble que celle-cy peut être déduite.

Il eft certain en premier lieu, que l'union d'un corps & d'une ame ne confifte, qu'en ce qu'il y a un fi neceffaire entre certaines penfées de cette

raport

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