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reconnoître dans les autres effets, qui proviennent de l'union du corps & de l'ame, ce qu'il y a précisément de l'un & de l'autre.

Dans la vifion, par exemple, il eft facile de con- La vision; cevoir, que s'il n'y avoit que le corps, les rayons du foleil, ou d'un flambeau, reflechiffant des objets: d'une maniere differente, pourroient exciter diverfement les filets du nerf optique, qui font répandus dans le fond de l'œil; & que cet ébranlement, continuant jufques dans le cerveau, luy donneroit auffi un ébranlement tel que, fuivant le rapport que l'Ouvrier admirable qui l'a compofé, a mis entre le cerveau & les objets qui entourent le corps, il s'ouvri roit en differens endroits, felon qu'il feroit à proposi de s'arrêter en la prefence de ces objets, ou de s'en approcher ou de les fuïr; & tout cela fe feroit fans ap percevance, fans fentiment, & fans choix.

Mais, lors qu'une ame eft unie au corps, comme il eft de la nature de l'ame de penfer, il eft convenable qu'elle s'apperçoive des chofes qui ont causé l'ébranlement du cerveau; qu'elle fente même quelque alteration en elle, fuivant que l'objet eft utile ou nui

fible au corps; & que choififfant ce qui eft plus expedient au corps, elle fouhaite qu'il demeure, ou qu'il foit tranfporté proche ou loin des objets,qu'elle apperçoit par fon entremife.

Et il eft bon de remarquer icy, que la fenfation: de l'ame en la vifion, eft tellement jointe à certains mouvemens interieurs du cerveau, que s'il y a quel quechofe qui arrête vers le milieu du nerf optique,

le mouvement que les rayons de la lumiere ont cau fé dans les bouts de ce nerf qui font au fond de l'œil, en forte que les extrémitez du même nerf, qui font au dedans du cerveau, n'en foient point ébranlées; l'ame n'aura point de fenfation de lumiere. Et c'est tellement à l'ébranlement de ces parties interieures du cerveau que la fenfation de la lumiere eft jointe, que fi quelque chofe ébranle ces parties interieures du certout auffi-tôt l'ame a les mêmes fenfatione qu'elle auroit en la prefence du foleil, d'un flambeau ou d'un feu. Et en effet, lorfque quelqu'un fe frappe rudement contre un mur dans quelque lieu fort obscur, l'ébranlement que le coup donne à tout le cerveau, venant à émouvoir les parties à l'occafion du mouvement defquelles l'ame a la fenfation de la lumiere, fait qu'elle a les mêmes sensations qu'elle auroit en la présence de mille chandeles.

veau,

Il faut encore obferver une feconde chofe, qui eft que l'ame ne rapporte pas fa fenfation à ce qui la caufe immediatement: car fi cela étoit, il eft constanc que toutes les fenfations luy arrivant à l'occasion des mouvemens interieurs du cerveau, elle devroit toutes les rapporter aux parties interieures du cerveau. Mais au contraire, il a été bon que l'ame rapportât fes fenfations aux endroits, d'où ces ébranlemens ont coûtume de proceder. Et, comme il eft utile au corps que le cerveau puiffe être ébranlé de loin par l'entremise des corps fubtils, qui font entre luy & les objets, & d'être difpofé ou à les fuïr, ou à les aborder, felon qu'ils luy font convenables: de même il est

utile à l'ame de rapporter la fenfation,qui luy est caufée par l'ébranlement des parties interieures du nerf optique, aux objets qui les ont excitez par l'entremife des rayons.

Ce n'eft pas que quelquefois cela ne foit fautif, comme nous l'avons vû par l'exemple de ceux à qui quelque grand coup fait voir des chandeles; & comme on le peut voir par l'exemple de ceux, qui en dormant voyent comme hors d'eux, plufieurs objets, qui neleur font pas presens. Car, encore que dans le premier exemple cela arrive parce que le cerveau est ébranlé par le coup,comme il le feroit par des chandeles; & dans le fecond, parce que quelques efprits courant dans le cerveau, ont ébranlé les parties que les objets qu'on voit dans le fonge,ébranleroient,s'ils étoient prefens, il eft certain que rien ne pouvoit être mieux ordonné que de faire que l'ame n'eût fes sensations, qu'à l'occafion des mouvemens interieurs du cerveau, & qu'elle ne les rapportât qu'à ce qui les a causez. Il étoit bon, dis-je, qu'elle n'eût fes fenfations, qu'à l'occafion des mouvemens du cerveau: car tout ce qui agit fur les extrémitez du corps, devant porter fon action jufques-là, avant que les efprits puiffent prendre aucun cours pour tranfporter le corps, felon qu'il luy eft utile d'être tranfporté; il étoit raisonnaque l'ame s'apperçût juftement en cet instant de ce qui affecte le corps, afin de pourvoir à ses besoins, & qu'elle pût aider cette difpofition organique & naBurelle qu'il a pour fa confervation. Enfin il cft bon qu'elle ne rapporte pas fa fenfation à la partie in

ble

L'ouïe,

terieure du cerveau qui l'a excitée, mais à l'objet qui en a été la premiere caufe, comme en la vifion; ou quelquefois à des parties du corps même, comme nous le verrons dans la fuite.

L'on peut connoître les mêmes chofes dans l'Ouïe: car il eft certain que,s'il n'y avoit que le corps, l'air battu d'une certaine façon par les corps qui fe froiffent, ou fortant diverfement de plufieurs trous, pourroit fraper diversement la membrane de l'oreille; & cette membrane pourroit exciter le nerf de la cinquié me conjugaifon, par un ébranlement, qui continuant jufqu'aux parties les plus interieures du cerveau, le difpoferoit comme il feroit à propos qu'il le fût, pour le falut de tout le corps, en le faisant ouvrir aux endroits par où les efprits pourroient couler dans les muscles, d'une maniere à faire arrêter le corps, & à l'approcher ou le reculer des objets, qui auroient été les premieres caufes de cet ébranlement dans le cerveau. Et tout cela fe feroit fans apperçeyance, fans fentiment, & fans choix,

Mais on conçoit que l'ame étant unie au corps, comme sa nature eft de penfer, il eft convenable qu'elle s'apperçoive des chofes qui ont caufé cet ébranlement du cerveau ; qu'elle fente même quelque alteration en elle, felon que l'objet eft utile ou nuifible au corps; & que choififfant ce qui eft plus expedient au corps, elle fouhaite qu'il en foit approché ou reculé. Enfin on voit qu'il eft plus expedient à l'ame en cette sensation, auffi-bien qu'en la vifion, de la rapporter plûtôt à l'objet, qui en eft la premiere cause,

qu'à l'ébranlement du cerveau, qui l'a immediatement excitée.

Cela fe peur auffi appliquer à l'Odorat; puifque L'odorasy l'on voit que les petits corps qui exhalent d'une rofe, ou d'un bourbier, étant differens, ils ébranlent diversement les parties du cerveau, qui aboutiffent à l'os cribreux; & que cet ébranlement, paffant dans le fond du cerveau, le difpofe comme il faut qu'il le foit, ou pour faire que les efprits aillent dans les muscles qui peuvent fervir à éloigner le corps du bourbier, ou pour le faire avancer vers la rose, selon que les odeurs font utiles ou nuifibles au cerveau. Et l'on conçoit aifément que tout cela pouvant arriver, quand il n'y auroit que le corps, fe feroit fans appercevance

fans fentiment, & fans choix.

Mais on conçoit que l'ame étant unie au corps, il eft convenable qu'elle s'apperçoive des chofes qui ont caufé l'ébranlement du cerveau ; qu'elle fente ellemême quelque changement different, felon les differens effets que ces chofes ont produits dans le cerveau; & que choififfant ce qui luy eft le plus propre, elle fou haite qu'il en foit approché ou reculé. Et l'on voit qu'il eft plus expedient à l'ame de rapporter cette senlation à l'objet qui l'a caufée, qu'à aucune partie du corps, ni même au dedans du cerveau, quoy que ce foit par fon ébranlement qu'elle foit excitée,

Il en eft de même du Goût: car certaines particules Le Gour. de viandes s'infinuant dans les pores de la langue & du palais, y ébranlent les nerfs de la troifiéme & de la quatrième conjugaison ; & cet ébranlement agitant

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