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4.

5.

Si ces parties ou ces portions demeurent fans liaifon les unes auprés des autres, cela s'appelle tas. Si elles coulent les unes entre les autres, changeant inceffamment leur fituation, cela s'appelle liqueur.

Si elles font accrochées enfemble & fans mouvement, ou avec fi peu de mouvement, qu'elles ne se puiffent détacher, cela s'appelle masse.

Comme chaque corps ne peut être divisé, il ne peut avoir de parties: mais, comme la matiere est un affemblage de corps, elle peut eftre divifée en autant de parties qu'il y a de corps. Elle peut aussi estre divifée en portions: mais elle ne peut avoir autant de portions, qu'elle a de parties.

Faute d'avoir confideré ces chofes attentivement, on a confondu les notions de la matiere en general, & celles de chaque corps en particulier. Et, parce que l'on a vû que les tas, les liqueurs, & les maffes fe divifoient d'abord en diverfes portions visibles, lefquelles enfin se réduifoient à force de divifer, en portions imperceptibles, on a crû que ce qui eftoit arrivé tant de fois à toutes les portions qu'on avoit feparées des autres, arriveroit à l'infini; & que fi la quantité des divifions ne nous rendoit ce qui reste infenfible, nous pourrions toûjours divifer, sans prendre garde, qu'à force de divifer, il faudroit enfin que l'on rencontraft quelque portion compofée de deux corps feulement, qui estant separez l'un de l'autre, arresteroient la divifion, puifque chacun

d'eux eft une substance, qui ne peut eftre divifée. Il est bon en cet endroit de remarquer deux choses. La premiere, que chaque corps en particulier n'est pas capable d'ébranler les organes de nos fens ; & comme il en faut un grand nombre, pour composer la moindre portion de matiere fenfible, il eft certain que nous ne fçaurions apercevoir aucun corps, & que tout ce que nous voyons, eft de la matiere.

La feconde ett, que chacun des corps eftant imperceptible, on ne fçauroit appercevoir leur jonction: de forte que toutes leurs étendues paroiffent dans une maffe, comme fi ce n'eftoit qu'une mesme étenduë.

Cependant, comme nous avons une idée tres claire des corps, & que nous fçavons que ce font des fubftances étenduës, nous joignons indifcrétement cette notion que nous avons des corps, à celle que nous avons de la matiere; & prenant une maffe pour un corps, nous la confiderons comme une substance, croyant que tout ce que nous voyons, n'eft que la mefme étendue. Et, parce que tout ce que nous voyons ainfi étendu, eft divisible, nous joignons tellement la notion de ce qui eft étendu, à la notion de ce qui eft divisible, que nous croyons divisible tout ce qui eft étendu.

Mais, pour en mieux juger, il faut s'accoûtumer à confiderer les chofes comme elles font, & non pas comme elles paroiffent, & fe ressouvenir de deux chofes. L'une, que toute maffe eft un amas de plufieurs fubftances, & non pas une substance : l'autre, qu'elle n'a point d'étendue propre, & qu'elle n'en pa

roît avoir, que parce que chaque corps, qui la compofe, en a. Et cela bien confideré, nous connoistrons évidemment qu'une masse n'eft divisible, que parce que fes extrémitez & fon milieu ne font pas la même fubftance, & que ce que l'on dit être le bas de la maffe, ou le haut, ou le côté, ou le dedans, ou le dehors, font des fubftances differentes, & dont chacune subsistant à part de celles qui l'accompagnent, elle en peut être féparée. Au lieu que dans chaque corps particulier, les extrémitez & le milieu ne font que la même fubftance, qui ne peut être étenduë, fans avoir neceffairement toutes ces chofes: tellement qu'aucune n'eftant differente du corps, aucune auffi n'en peut être féparée; & par ce moyen il demeure indivifible.

Toutes ces chofes paroîtront neceffairement vrayes, à qui fe donnera le loifir de les confiderer attentivement ; & l'on verra qu'il eft impoffible fans cola d'avoir aucune notion claire des principes de la Phyfique.

J'avoue qu'on eft fi accoûtumé à prendre la maticre pour

pour les corps, , que de tres-grands hommes n'en

donnent qu'une même définition. Mais,comme cette définition ne contient que ce qui peut convenir à chaque corps en particulier, fçavoir, d'être substance, & d'être étendu, il ne faut pas s'étonner fi ces perfonnes, croyant que la matiere eft une fubftance, & qu'il n'y a point d'autre étenduë que la fienne, croyent auffi que toute étendue eft divifible. Mais, s'ils y veulent un peu penfer, ils pourront,

reconnoître qu'une même fubftance ne fe peut diviser en elle-même, & que fi fa nature eft de pouvoir être étenduë, du moment que l'on conçoit qu'elle l'eft, il faut avouer qu'étant la même en toutes fes extrémitez, aucune de fes extrémitez n'est féparable d'elle.

Si l'on eftoit fans prévention fur ce fujet, on n'auroit pas besoin d'une fi longue difcuffion, ni de rebattre fi fouvent la même chose. Mais, comme la coûtume de croire que l'on sçait, est souvent aufsi puiffante fur l'efprit que la fcience mesme, il ne suffit pas toûjours, pour perfuader à des gens le contraire de ce qu'ils penfent fçavoir, de leur expofer nettement la verité; ce n'eft qu'en la montrant à diverfes fois,qu'on la fait reconnoître. Et non feulement il eft bon d'en faciliter la connoiffance par des repetitions frequentes: mais il eft fouvent à propos aprés avoir fait appercevoir une verité par les principes, de montrer les inconveniens qu'il y auroit de croire le contraire.

C'est pourquoy je ne feindray pas de dire que j'ay trouvé que tous ceux à qui j'ay ouy parler des Corps & de la Matiere comme d'une même chofe, n'ont jamais fçû m'expliquer leur pensée là-deffus, quoy que j'en connoiffe entr'eux, qui ayent un efprit excellent, & une tres-grande habitude à démêler les plus grandes difficultez. Et même, lorsque j'ay voulu fuppofer avec eux que la matiere eftoit une fubftance, & qu'une fubftance fe pouvoit divifer, qui font les deux choses du monde les plus éloignées de ce

ay

qu'on en peut connoître par la lumiere naturelle, ils ne m'ont donné aucune fatisfaction. Quand je leur demandé fi cette fubftance, qu'ils croyent divifible, l'est à l'infiny, comme il me fembloit que leur fuppofition le donnoit à entendre; Ils m'ont répondu que non, mais qu'elle l'eftoit indéfiniment. Quand je les ay priez de m'expliquer cette division indéfinie, ils me l'ont fait entendre de la même maniere que tout le monde entend l'infiny. Et, pour achever par un peu de bonne foy un difcours fi plein d'obscurité, ils m'ont avoüé qu'à la verité il y a quel que chofe d'inconcevable en cela; mais qu'il falloit neceffairement que cela fût de la forte. Or il me femble qu'il n'y a pas la même obfcurité en ce que je propofe. Je dis que chaque corps eft une substance étendue, & par confequent indivifible, & que la matiere est un affemblage de corps; & par confequent divifible en autant de parties qu'il y a de corps: cela me femble clair.

Un autre inconvenient, que je remarque en l'opinion de ceux, qui difent que la matiere même eft une substance étendue, c'est qu'ils ne fçauroient faire concevoir un corps à part, fans fuppofer un mouvement. Tellement que, felon leur doctrine, on ne peut concevoir un corps en repos entre d'autres corps: car fuppofé qu'il leur touche, cette doctrine enfeigne qu'il ne fait plus qu'un même corps avec eux. Cependant il me femble que nous avons une idée bien claire & bien naturelle d'un corps parfaitement en repos entre d'autres corps, dont aucun n'eft en

J

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