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2. De même on dit qu'un esprit agit fur un autre efprit, quand à son occafion cet efprit conçoit, imagine, veut, ou penfe, en quelque façon que ce foit, autrement qu'il ne faifoit auparavant.

Ainfi les corps agiffent l'un fur l'autre, autant qu'ils le peuvent, quand ils fe caufent quelque changement convenable à l'étendue, & les efprits agiffent l'un fur l'autre, autant qu'ils le peuvent, quand ils fe caufent quelque changement conve nable à la pensée.

AXIOME.

D'où il refulte qu'une chose n'agit fur l'autre, qu'autant qu'elle y peut apporter de changement fuivant fa nature. Et confequemment, fi un corps agit fur un efprit, ce ne peut être en luy caufant aucun changement de mouvement, de figures, ou de parties; car cet efprit n'a point toutes ces choses: non plus que, fi cet efprit agit fur un corps, ce ne peut être en luy caufant aucun changement de pensée, car ce corps n'en a point.

CONCLUSION.

Mais fi ce corps, ou fon mouvement, ou sa figure, ou autre chofe dépendante de fa nature, peut être apperçu de quelque efprit, en forte qu'à fon occafion, cet efprit ait des penfées qu'il n'avoit pas auparavant, on pourra dire que ce corps a agy fur

cet efprit, puifqu'il luy a caufé tout le changement, dont il étoit capable fuivant fa nature.

Sans doute il n'eft pas plus mal-aifé de concevoir l'action des efprits fur les corps, ou celle des corps fur les efprits, que de concevoir l'action des corps fur les corps. Et, ce qui nous rend plus inconcevable la premiere que la derniere, c'eft que nous voulons concevoir l'une par l'autre, fans confiderer que, chaque chose agissant selon sa nature, nous ne connoîtrons jamais l'action d'un agent, quand nous voudrons l'examiner par les notions, que nous avons d'un autre agent de nature toute differente.

corps,

Mais ce qu'il y a de remarquable en cecy, est que, quoy que l'action des corps fur les corps ne nous foit pas mieux connue, que celle des efprits fur les ou des corps fur les efprits; la plupart néanmoins n'admirent que celle-cy, croyant connoître l'autre. Et j'ofe dire que, quand on aura bien examiné ce qui se rencontre dans l'action d'un corps fur un corps, on ne trouvera pas qu'elle foit plus concevable, que celle des efprits fur les corps.

Et afin de le reconnoître, confiderez encore ce Cy-devant

que fait le corps B fur le corps C, quand on dit P, co.

qu'il le chaffe de fon lieu. Tout ce qui eft clair en cela (comme il a été dit dans le quatrième Discours ) c'est que B étoit mû, que C l'est maintenant; & que le premier demeure à l'endroit que le fecond occupoit avant luy: nous ne voyons que cela, tout le refte nous le conjecturons.

De même confiderez ce que fait l'efprit fur le

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corps

foit

corps, quand on dit qu'il l'agite. Tout ce qui eft
clair c'eft que l'efprit veut que le
mû en un sens, & que ce corps en même
en même temps eft
mû d'un mouvement conforme au defir de cet
efprit nous ne nous appercevons que de cela; tout
le refte nous le conjecturons. Mais jufqu'icy les cho-
ses sont égales : car fi dans le premier exemple, les
corps B & C nous ont paru & en mouvement & en
repos; c'eft qu'ils font capables de ces deux états. Et
dans le fecond exemple, fi nous difons que l'efprit a
voulu qu'un certain corps, qui fe mouvoit déja, fût
dirigé d'une certaine façon, c'eft qu'il pouvoit le
vouloir; & fi le corps a été ainsi dirigé, c'eft que
cela étoit fuivant fa nature.

Voyons le refte, & tâchons d'en bien juger. Quant au premier exemple, suivant ce qui a été dit dans les Cy devant Remarques fur la quatrième propofition du quatriéme Difcours, encore qu'on voye que C, qui étoit en repos, commence à se mouvoir, & que B qui se mouvoit, foit maintenant en repos, on ne peut pas dire que le mouvement de l'un foit paffé dans l'autre ; parce qu'il eft évident que mouvement de chacun à fon égard, n'eft qu'une façon d'être, qui n'étant pas feparable de luy, ne peut en façon quelconque paffer dans l'autre. D'où il fuit, qu'il y a autre chofe que le corps B (qui cft maintenant en repos ) laquelle meut le corps C. Or nous ne ferons pas bien en peine de trouver cette chofe, fi nous nous fouvenons des conclufions du quatrième Difcours. Ainfi, puifqu'il eft vray que ce n'eft point B qui meut C, s'il

nous

nous refte quelque lieu de dire que le corps B agiffe fur le corps C, c'eft feulement parce que, fi-tôt qu'ils fe font approchez, l'un ceffe & l'autre commence d'être mû. De même dans le fecond exemple, nous appercevons que, dés que l'efprit veut que le mouvement du corps foit dirigé en certain sens, cela arrive. Pourquoy donc n'aurons-nous pas la même occafion de dire que l'efprit agit fur le corps? puis qu'encore que ce ne foit pas effectivement nôtre efprit qui cause le mouvement, il est certain toutefois que le mouvement de nôtre corps dépend autant & en même façon de nôtre volonté, que le mouvement d'un corps dépend de la rencontre d'un autre corps.

A confiderer la chose exactement, il me femble qu'on ne doit plus trouver l'action des efprits fur les corps plus inconcevable, que celle des corps fur les efprits: car nous reconnoiffons que, fi nos ames ne peuvent mouvoir nos corps, les corps ne peuvent auffi mouvoir d'autres corps. Et, comme on eft obligé de reconnoître que la rencontre de deux corps est une occafion à la puiffance qui mouvoit le premier, de mouvoir le second; on ne doit point avoir de peine à concevoir que nôtre volonté foit une occafion à la puiffance qui meut déja un corps, d'en diriger le mouvement vers un certain côté répondant à cette pensée.

L

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Des operations de l'une & de l'autre en particulier.

Et des effets de leur union.

VI. DISCOURS.

UELQUES-UNs difent que,

fans ce

que la foy nous apprend de l'Ame, on auroit de grands fujets d'en douter ; & que que s'ils n'étoient fort foûmis au Chriftianifime, ils ne croiroient abfolument que le corps. Pour moy, bien que l'autorité de l'Eglife ferve beaucoup à me confirmer dans la créance que j'ay

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