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Cependant, dés que la femme entend dire qu'ils feront comme Dieu même,s'ils en mangent, elle le fuggere à l'homme; & pour fe refoudre en cette occafion, il n'examinent ni qui eft celuy qui leur a donné le confeil de manger de ce fruit, ni qui eft celuy qui leur en a fait la défenfe. Ils s'arrêtent feulement à penfer qu'il étoit bon d'être comme Dicu; & fe rapportant plus à leurs fens, qu'à ce que leur Auteur leur avoit dit de ce fruit, ils trouvent ce fruit agreable aux yeux, ils y portent la main, ils le trouvent agreable au goût, ils en mangent.

Ainfi leur ame fe déregla d'elle-même; & le déreglement de leur corps fuivit avec celuy de toute la nature. Ils connurent le mal: ils devinrent sujets à la douleur, à la mort, & tellement affujettis à leur corps, qu'il ne leur resta plus de liberté qu'autant qu'il en faloit, pour achever de fe perdre comme les démons.

Le Fils de Dieu par fon Incarnation & par fa mort a réparé avantageusement ce mal. Mais ce remede, qui eft d'un ordre fuperieur à la nature, eft tel, qu'encore qu'il éleve les hommes à des chofes, qui paffent tout ce qu'Adam auroit pû faire en l'état parfait où Dieu l'avoit mis, il laiffe pourtant encore fentir à ceux qui y ont participé, tous les defordres, que la nature a soufferts par le peché du premier homme. Leur ame eft déréglée, leur corps l'eft auffi; & ce déreglement a paffé de l'ame du premier homme à leur ame, comme il a paffé de fon corps au leur.

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II TRAITE

DE

METAPHYSIQUE.

Que Dieu fait tout ce qu'il y a de réel dans nos actions fans nous ôter la liberté.

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Ieu eft caufe de tout ce qui eft : il est cause que les fubftances corporelles font, & qu'elles font capables d'être étenduës. Ainfi tous les corps tiennent leur être, & leur étenduë de luy :

il les a créez, il les conferve.

De même il est caufe que les fubftances fpirituelles font, & qu'elles font capables de penfer, c'est-àdire, d'entendre, de vouloir, c. Ainfi tous les efprits tiennent leur être & leurs pensées de luy : il les a créez, il les conserve.

II. Il n'a fait les corps capables que de paffions: ils font étendus, ils font figurez, ils font fituez, ils font mûs; mais ils font incapables d'action.

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De même il a fait les efprits capables de paffions. Ils ont des fenfations, des perceptions, & font affeêtez d'une infinité de manieres differentes : mais ils font auffi capables d'action; ils veulent.

III. Quoique Dieu faffe tous les corps & leur étenduë, & qu'ils ne fubfiftent que par luy, on ne dit pas qu'il foit corps, ni qu'il foit étendu ; & Textenfion appartient au corps, comme la fubftance luy appartient, quoy que Dieu l'ait faite.

De même, quoique Dieu faffe les efprits & leurs penfées, il n'eft ni leur être, ni leurs pensées. Dieu n'eft pas ce qu'ils font, leur fubftance eft à eux: c'est bien luy qui les fait penfer, mais c'eft eux qui penfent.

Enfin Dieu cause les paffions des efprits, mais elles font differentes de luy ; & de même il caufe les actions des efprits, mais elles font differentes de luy. Et, comme on ne peut pas dire que les paffions des efprits foient fes paffions, mais feulement que ce font les paffions des efprits, on ne peut pas dire que les actions des efprits foient fes actions, mais feulement que ce font les actions des efprits.

IV. Si Dieu a fait tous les êtres, parce qu'il est tout-puiffant, il eft vifible qu'étant tout fage, il les a faits pour la plus belle fin, c'eft-à-dire,pour luy-même. Et les êtres corporels ne connoiffant pas cette fin, n'ont pas befoin d'action pour s'y porter, pour s'y porter, il fuffic qu'ils foient capables de paffion, & d'être dans tous les differens états, qui conviennent à cette fin. Mais les efprits, qui connoiffent cette fin, ont besoin d'action pour y aller

V. Dieu les y pouffe inceffamment. Ils en ont un defir continuel : ils ne peuvent même s'empêcher de fouhaiter d'y arriver; & c'eft pour cela que, tandis que rien ne leur obscurcit l'entendement, & qu'ils connoiffent parfaitement les moyens d'y parvenir, toute l'action de leur volonté y tend. Mais, dés que leur entendement eft obfcurci, & qu'il le préfente diverses choses à eux, dont l'apparence eft telle, qu'ils ne fçachent encore que choifir, c'eft alors qu'ils fufpendent cette action. Et, bien que Dieu les pouffe incessamment à leur fin, & même qu'il les pouffe à choifir quelqu'un des moyens, qui fe prefentent pour à cette fin, comme ils ne fçavent fouvent que choifir, ils demeurent en fufpens; & cela eft une action. Car ils refolvent de ne point choifir; & cette refolution est une action, qui veritablement ne feroit pas en eux fans Dieu, mais qui eft leur action, & non celle de Dieu.

aller

VI. Dans la fuite, lors qu'ayant deliberé, ils fe déterminent à un moyen plûtôt qu'à l'autre, il eft encore vray que fans Dieu cette détermination,qui est une action, ne feroit pas en eux: mais il eft vifible auffi que cette action n'eft point celle de Dieu, & que c'eft la leur.

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VII. Enfin, quand ils choififfent bien, ils meritent récompense; & quand ils choififfent mal,ils meritent punition. Dans le premier cas, il est visible que Dieu a tout fait, & tout fait faire. Il a continué de les porter vers la fin, & vers les moyens d'y parveniɛ. Sans luy l'action de fufpendre, pour déliberer

fur le choix de ces moyens n'auroit point été en eux, ni celle de fe déterminer aprés avoir deliberé; & confequemment il a tout fait, ou tout fait faire. De même dans le fecond cas, il eft vifible qu'il a fait, ou fait faire tout ce qui s'y trouve de réel, car il a porté les ef prits à leur fin: il les a portez au choix des moyens d'y parvenir; & fans luy, ils n'auroient ni déliberé, choisi. Ainfi il a fait ou fait faire tout ce qu'il y a de réel; & fi les efprits ont mal choifi, c'est un défaut, dont ils font feuls coupables. Dieu avoit fait ce qui étoit de luy,& ce qui fuffifoit pour bien agir; & les efprits n'ont pas ufédu pouvoir,qu'il avoit mis en eux,

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VIII. Suivant ces principes, un homme peut avec les mêmes difpofitions interieures, à la vûë des mêmes objets, & dans des circonftances toutes semblables, choisir tantôt ce qui mène à fa fin derniere, & tantôt ce qui en détourne. Par exemple, un homme avec une grande faim, peut rencontrer un jour de jeûne un repas bien apprêté; penfer qu'il luy est défendu d'y toucher jufques à ce que l'heure de manger foit venue, & attendre en effet que cette heure foitvenuë pour manger. Et le même homme peut un autre jour de jeûne avec la même faim, à la vue d'un repas femblable, & aprés une auffi forte reflexion fur la défense de manger avant l'heure, n'attendre pas qu'elle foit venue, & manger.

Cela fuit de fa liberté ; & Dieu fait également dans les deux cas tout ce qu'il y a de réel. Car dans l'un› & dans l'autre, il porte l'ame de cet homme neceffairement à fon bonheur : il la porte auffi, mais fans ne

ceffité

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