Imágenes de páginas
PDF
EPUB
[ocr errors][merged small]

OBSERVATIONS

SUR

L'HISTOIRE

D'HERODOTE

A premiere chofe, qui me paroît de cet Historien, eft qu'il a bien connu ce qui doit fervir de fujet à l'Histoire. Il n'a fait la vie d'aucun Prince en particulier, & ne s'eft arrêté qu'aux chofes principales, qui ont fervi aux changemens notables des Etats, dont il s'eft propofé de parler. Il déclare d'abord qu'il veut écrire les grandes & merveilleufes entreprises des Grecs & des Barbares. Il ne dit pas qu'il và écrire la vie de Crefus, celle de Cyrus, ou celle de quelque autre Prince; & s'il en releve quelques circonstances, ce n'est précisément que celles qui ont fervi à l'établiffement ou à la ruine de quelque Empire. Par cette

raifon, il ne dit pas un mot de l'enfance, ni de l'éducation de Crefus, parce qu'elles ne fervent de rien à l'hiftoire de Lydie, par laquelle il commence fon premier Livre. Mais dans la fuite du même Livre, en écrivant l'histoire d'Afie, il parle fort de la naiffance de Cyrus, & releve entr'autres une action, que ce Prince fit étant encore enfant, parce qu'elle fervit à à le faire reconnoître d'Aftiages, & donna commencement à cette puiffance, qui rendit enfin les Perfes vainqueurs des Medes & de toute l'Afie.

II. En fecond lieu, je trouve sa maniere de reciter tout à fait agreable. Ciceron dit quelque part qu'elle luy plaît infiniment; & bien qu'il eût un avantage que je n'ay point, en ce qu'il fçavoit parfaitement le grec, je ne laiffe pas de prendre un extrême plaifir aux recits, que fait Herodote. Et ce grand agrément, que fon Ouvrage conferve même dans les versions qu'on en a faites, vient fans doute de ce qu'il ne raconte que des chofes dignes de memoire, & qu'il ne les a dites qu'à propos des fujets qu'il traitoit. De forte que ceux qui le lifent, ont le plaifir d'apprendre à chaque moment des choses extraordinaires, & de voir qu'elles fervent toutes à l'Histoire, dont le fil n'eft jamais interrompu. Par exemple, s'il parle de la Pithie, & des richeffes de fon Temple, c'eft à propos des Oracles qui tromperent Crefus, & des magnifiques prefens, que ce Prince avoit envoyez Delphes.

[ocr errors]

Si quelquefois il fe donne la liberté de reciter un évenement, qui ne ferve pas tout à fait à son Histoi

re,

re, ce qui arrive tres-rarement, il prend toûjours garde à deux chofes. L'une, que cet évenement foit rare, afin qu'il divertiffe: l'autre, qu'il ait affez de rapport aux chofes dont il traite, pour faire qu'on n'en perde pas le fouvenir; fur tout il observe de le raconter en peu de mots. C'eft ainfi qu'il rapporte en douze lignes l'avanture d'Arion, parce que cet excellent Mulicien arriva à la Cour de Périandre dans le temps qu'il moyennoit un accord entre les Milefiens & les Lydiens. Au refte, cette aventure auroit paru agreable, quand elle auroit eu moins de liaison à l'histoire de Lydie. Ciceron dans le fecond. Livre de l'Orateur, dit qu'encore qu'un Hiftorien ne doive reciter exactement que ce qui fert aux grands changemens des Etats, il ne faut pas neanmoins qu'il oublie les perfonnes illuftres, qui ont vêcu dans les temps dont il écrit l'hiftoire, quoy qu'ils n'ayent point eu de part aux affaires, principalement lors qu'ils ont été excellens en quelque art, ou qu'on leur est redeyable de quelque rare invention. Et c'est peut-être pour cela qu'Herodote, en parlant d'Arion, le vante comme le premier Muficien de fon temps, & l'Inventeur du Dithyrambe.

III. La troifiéme chofe qu'on doit remarquer dans Herodote, eft que jamais il ne descend dans un trop grand détail des chofes communes : ce qui rend son recit merveilleusement intelligible & fuccint. Les Histoires embarrassées de mille petits évenemens, comme des amours, ou des autres paffions particulieres des Princes, dont le fuccés n'a point apporté de

[ocr errors]

notable changement dans un Etat, sont toûjours fort defagreables. Car,outre qu'on n'en fçauroit appercevoir la fuite, il eft certain qu'on lit toûjours avec quelque efpece d'ennuy, ce qui n'a rien de remarquable, ou n'a point de rapport aux grands évenemens qui font le principal, & à vray dire, le feul fujet de l'Hiftoire. Herodote me paroît avoir évité ce défaut avec beaucoup de foin; & l'on ne voit pas qu'il ait parlé d'aucune paffion, que de celles qui ont caufé de grands changemens. On ne fçait, par exemple, fi Crefus aimoit fa femme, ou s'il ne l'aimoit pas. Mais on voit que Candaules aima fi fottement la fienne, que cela fit paffer la Couronne de Lydie dans la Maison de Crefus: auffi importoit-il de fçavoir l'un; & l'autre ne pouvoit fervir de rien.

IV. Il me femble encore que ce qui a beaucoup fervi à la netteté de fon Hiftoire, eft qu'il n'apporte que rarement les preuves de ce qu'il dit. Veritablement il arrive peu que les preuves foient neceffaires; & comme elles intérompent toûjours la narration, elles font toûjours fort defagreables. Cependant c'est de quoy l'on remplit maintenant toutes nos Histoires. On y tranfcrit des memoires, des contrats, & d'autres picces entieres, qui prouvent fouvent ce qu'on pourroit omettre fans faire tort à l'Histoire, & ce qu'on n'y fçauroit jamais inferer fans l'embarraffer. Au refte, quand on fe contente d'écrire les chofes principales, on n'a pas befoin de tant de ves: les caufes des grands évenemens font d'ordinaire affez connuës, ou fi quelquefois on ne fçait pas les

preu

« AnteriorContinuar »