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ACTE SECOND.

SCENE

I.

Le Théâtre représente, ou est supposé représenter un Appartement du Palais des Confuls.

Ο

TULLIE. ALGINE.

ALGIN E.

Ui vous allez regner; le deftin moins févere
Vous rend tout ce qu'il ôte a Tarquin votre
pere;

Un hymen glorieux va ranger fous vos loix
Un Peuple obéiffant, & fidèle à fes Rois.
Un grand Roy vous attend; l'heureuse Ligurie
Va vous faire oublier cette ingrate Patrie.

Cependant votre cœur ouvert aux déplaifirs, Dans fes profpérités s'abandonne aux foupirs; Vous accufez les Dieux qui pour vous s'attendiffent Vos yeux femblent éteints des pleurs qui les rempliffent.

Ah! fi mon amitié, partageant vos malheurs,
N'a connu de tourmens, que vos feules douleurs;
Si vous m'aimez, parl ez; quel chagrin vous dévore?
Pourriez-vous en partant regretter Rome encore?

TULLIE.

Rome? féjour fanglant de carnage & d'horreur!
Rome? tombeau du Trône & de tout mon bonheur!
Lieux où je fuis encore aux fers abandonnée !
Demeure trop funefte au fang dont je fuis née;
Rome! pourquoi faut-il qu'en cet affreux fejour
Un Héros vertueux, Titus ait vû le jour ?

ALGINE.

Quoi! de Titus encor l'ame préoccupée,
Vous en gémiffiez feule, & vous m'aviez trompée ?
Quoi! vous qui vous vantiez de ne voir en Titus
Que l'ennemi des Rois, que le fils de Brutus ;
Qu'un destructeur du Trône, armé pour sa ruine;
Vous qui le haiffiez.....

TULLIE.

Je le croïois, Algine. Honteufe de moi-même, & de ma folle ardeur, Je cherchois à douter du crime de mon cœur. Avec toi renfermée, & fuïant tout le monde, Me livrant dans tes bras à ma douleur profonde, Hélas! je me flattois de pleurer avec toi, Et la mort de mon frere, & les malheurs du Roy. Ma douleur quelquefois me fembloit vertueuse; Je détournois les yeux de fa fource honteuse; Je me trompois; pardonne, il faut tout avoüer, Ces pleurs que tant de fois tu daignas effuyer, Que d'un frere au tombeau me demandoit la cendre, L'amour les arracha; Titus les fit répandre. Je fens trop à fon nom d'où partoient mes ennuis:

Je fens combien je l'aime, alors que je le fuis: Cet ordre, cet hymen, ce départ qui me tuë, M'arrachent le bandeau, qui me couvroit la vûë Tu vois mon ame entiere, & toutes les erreurs.

ALGINE.

Fuyez donc à jamais ces fiers Ufurpateurs;
Pour le fang des Tarquins Rome eft trop redoutable.

TULLIE.

Hélas! quand je l'aimai, je n'étois point coupable,
C'est toi feule, c'est toi, qui vantant ses vertus
Me découvris mes feux, à moi-même inconnus.
Je ne t'accuse point du malheur de ma vie ;
Mais lorfque dans ces lieux la paix me fut ravie,
Pourquoi démêlois-tu ce timide embarras,
D'un cœur né pour aimer, qui ne le fçavoit pas?
Tu me peignois Titus, à la Cour de mon pere
Entraînant tous les cœurs empreffés à lui plaire;
Digne du fang des Rois, qui coule avec le fien;
Digne du choix d'un pere, & plus encor du mien.
Hélas! en t'écoutant ma timide innocence
S'enivra du poifon d'une vaine espérance.
Tout m'aveugla. Je crus découvrir dans fes yeux,
D'un feu qu'il me cachoit l'aveu respectueux;
J'étois jeune, j'aimois, je croïois être aimée.
Chere & fatale erreur qui m'avez trop charmée!
O douleur ! ô revers plus affreux que la mort!
Rome & moi dans un jour ont vu changer leur fort.
Le fier Brutus arrive; il parle, on se fouleve;
Sur le Trône détruit, la liberté s'éleve;

Mon Palais tombe en cendre, & les Rois font profcrits.

Tarquin fuit fes fujets, fes Dieux, & fon Païs;
Il fuit, il m'abandonne, il me laiffe en partage,
Dans ces lieux défolés, la honte, l'esclavage,
La haine qu'on lui porte; &, pour dire encor plus,
Le poids humiliant des bienfaits de Brutus;
La guerre fe déclare, & Rome eft affiégée;
Rome tu fuccombois, j'allois être vangée;
Titus, le feul Titus, arrête tes deftins!

Je voi tes murs trembans, foutenus par fes mains;
Il combat, il triomphe; ô mortelles allarmes!
Titus eft en tout temps la fource de mes larmes.
Entens-tu tous ces cris? vois-tu tous ces honneurs
Que ce Peuple décerne à ses Triomphateurs?
Ces aigles à Tarquin par Titus arrachées,
Ces dépouilles des Rois à ce Temple attachées,
Ces lambeaux prétieux d'étendarts tout fanglans,
Ces couronnes, ces chars, ces feftons, cet encens,
Tout annonce en ces lieux fa gloire & mon outrage.
Mon cœur, mon lâche cœur l'en chérit davantage.
Par ces triftes combats, gagnés contre fon Roy,
Je vois ce qu'il eût fait, s'il combattoit pour moi;
Sa valeur m'ébloüit, cet éclat qui m'impose,
Me laiffe voir fa gloire, & m'en cache la cause.

ALGINE.

L'Abfence, la raison, ce Trône où vous montez, Rendront un heureux calme à vos fens agitez; Vous vaincrez votre amour, & quoiqu'il vous eu coute,

Vous fçaurez...

TULLI E.

Ouï mon cœur le haïra fans doute.

Ce fier Républicain, tout plein de ses exploits,
Voit d'un œil de courroux la fille de fes Rois;
Ce jour, tu t'en fouviens, plein d'horreur & de gloire;
Ce jour que fignala fa prémiere victoire,

Quand Brutus enchanté le reçut dans ces lieux,
Du fang de mon parti tout couvert à mes yeux;
Incertaine, tremblante, & démentant ma bouche,
J'interdis ma préfence à ce Romain farouche.
Quel penchant le cruel fentoit à m'obéir!
Combien depuis ce temps il se plaît à me fuir?
Il me laiffe à mon trouble, à ma foibleffe extrême,
A mes douleurs.

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TITUS, au fond du Théâtre.

Oyons-la, n'écoutons que mon feul désespoir;

TULLIE.

Dieux! je ne puis le fuir, & tremble de le voir

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