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Porfenna, de Tarquin, ce formidable appui,
Ce Tyran, Protecteur d'un Tyran comme lui,
Qui couvre, de fon camp, les rivages du Tibre;
Refpecte le Senat, & craint un Peuple libre.
Aujourd'hui devant vous, abaiffant fa hauteur,
Il demande à traitter par un Ambaffadeur;
Arons qu'il nous députe, en ce moment s'avance;
Aux Senateurs de Rome il demande audience;
Il attend dans ce Temple: & c'eft à vous de voir
S'il le faut refufer, s'il le faut recevoir.

VALERIUS PUBLICOLA.

Quoiqu'il vienne annoncer, quoiqu'on puiffe en attendre;

Il le faut à fon Roy renvoyer, fans l'entendre;
Tel eft mon fentiment. Rome ne traite plus
Avec fes Ennemis, que quand ils font vaincus.
Votre Fils, il eft vrai, vangeur de fa Patrie,
A deux fois repouffé le Tiran d'Etrurie;
Je fçai tout ce qu'on doit à fes vaillantes mains;
Je fçai qu'à votre exemple il fauva les Romains;
Mais ce n'eft point affez. Rome, affiegée encore,
Voit dans les champs voifins ces Tirans qu'elle
abhorre.

Que Tarquin fatisfaffe aux Ordres du Sénat,
Exilé par nos Loix, qu'il forte de l'Etat,

De fon coupable-afpect, qu'il purge nos Frontiéres :
Et nous pourrons enfuite écouter fes priéres.
Ce nom d'Ambaffadeur a paru vous frapper;
Tarquin n'a pû nous vaincre, il cherche à nous
tromper.

L'Ambaffadeur d'un Roy m'eft toujours redoutable.
Ce n'eft qu'un ennemi, fous un titre honorable,
Qui vient, rempli d'orgueil, ou de dexterité,
Infulter ou trahir, avec impunité.

Rome! n'écoute point leur féduifant langage;
Tout art t'eft étranger, combattre eft ton partage;
Confonds tes ennemis, de ta gloire irrités ;
Tombe, ou puni les Rois; ce font-là tes traités.
BRUTU S.

Rome fçait à quel point fa liberté m'est chére,
Mais, plein du même efprit, mon fentiment différe;
Je voy cette Ambaffade, au nom des Souverains,
Comme un premier hommage aux citoyens Ro-
mains;

Accoutumons des Rois la fierté defpotique,
A traiter en égale avec la République,
Attendant que du Ciel rempliffant les décrets,
Quelque jour avec elle ils traitent en fujets.
Arons vient voir ici Rome, encor chancelante,
Découvrir les refforts de fa grandeur naissante,
Epier fon génie, observer son pouvoir;
Romains, c'eft pour cela qu'il le faut recevoir.
L'ennemi du Sénat connoîtra qui nous fommes;
Et l'esclave d'un Roy va voir enfin des hommes.
Que dans Rome à loifir il porte fes regards;
Il la verra dans vous, vous êtes fes remparts.
Qu'il revere en ces lieux le Dieu qui nous raffemble,.
Qu'il paroiffe au Sénat, qu'il l'écoute, & qu'il

tremble.

Les Sénateurs fe levent, & s'approchent un moment, pour donner leurs voix.

VALERIUS PUBLICOLA

Je vois tout le Sénat paffer à votre avis.
Rome & vous, l'ordonnez. A regret j'y souscris ;
Licteurs, qu'on l'introduise; & puisse sa présence
N'apporter en ces lieux rien dont Rome s'offenfe.

A Brutus.

C'eft fur vous feul ici que nos yeux font ouverts;
C'est vous qui le premier avez rompu nos fers;
De notre liberté foûtenez la querelle;
Brutus en est le pere, & doit parler pour elle.

1

SCENE II.

LE SENAT, ARONS, ALBIN, SUITE.

Arons entre par le côté du Theâtre, précedé de deux Liteurs, d'Albin fon Confident, il paffe devant les Confuls & le Sénat, qu'il falue, & il va s'affeoir fur un fiege préparé pour lui fur le devant du Theatre.

Confuls,

ARONS..

Onfuls, & vous Sénat, qu'il m'eft doux d'être
admis

Dans ce Confeil facré de fages Ennemis !
De voir tous ces Héros, dont l'équité févére
N'eut jufques aujourd'hui qu'un réproche à fe faire;
Témoin de leurs exploits, d'admirer leurs vertus,
D'écouter Rome enfin, par la voix de Brutus;

Loin des cris de ce peuple indocile & barbare,
Que la fureur conduit, réunit & fépare,
Aveugle dans fa haine, aveugle en fon amour,
Qui ménace & qui craint, regne & fert en un jour;
Dont l'audace...

BRUTUS.

Arrêtez, fçachez qu'il faut qu'on nomme Avec plus de refpect les Citoyens de Rome; La gloire du Sénat est de représenter Ce Peuple vertueux, que l'on ofe infulter. Quittés l'art avec nous, quittés la flatterie; Ce poifon qu'on prépare à la Cour d'Etrurie, N'eft point encore connu dans le Sénat Romain. Pourfuivez

ARONS.

Moins piqué d'un difcours fi hautain,

Que touché des malheurs où cet Etat s'expofe,
Comme un de fes enfans j'embraffe ici fa caufe;

Vous voyez quel orage éclate autour de vous,
C'eft en vain que Titus en détourna les coups;
Je vois avec regret, fa valeur & fon zèle
N'afsûrer aux Romains qu'une chute plus belle:
Sa victoire affoiblit vos remparts défolés.
Du fang qui les inonde ils femblent ébranlés.
Ah! ne réfufez plus une paix nécessaire.
Si du Peuple Romain le Sénat eft le pére,
Porfenna l'eft des Rois que vous perfécutez.

Mais vous, du nom Romain vangeurs fi redoutés, Vous des droits des mortels éclairés interprétes,

Vous qui jugez les Rois, regardés où vous êtes?
Voici ce Capitole, & ces mêmes Autels,
Où jadis, attestant tous les Dieux immortels,
J'ai vu chacun de vous, brûlant d'un autre zèle,
A Tarquin votre Roy, jurer d'étre fidèle,

Quels Dieux ont donc changé les droits des Souverains?

Quel pouvoir a rompu des nœuds jadis fi faints?
Qui du front de Tarquin ravit le diadême ?
Qui peut de vos fermens vous dégager?

BRUTUS..

Lui-même.

N'alleguez point ces noeuds que le crime a rompus,
Ces Dieux qu'il outragea, ces droits qu'il a perdus ;
Nous avons fait, Arons, en lui rendant hommage,
Serment d'obéiffance, & non point d'esclavage.
Et puifqu'il vous fouvient d'avoir vû dans ces lieux
Le Sénat à fes pieds, faifant pour lui des voeux;
Songez qu'en ce lieu même, à cet Autel auguste,
Devant ces mêmes Dieux, il jura d'être juste,
De fon Peuple & de lui tel êtoit le lien;
Il nous rend nos fermens lorfqu'il trahit le fien,
Et dès qu'aux Loix de Rome il ofe être infidèle,
Rome n'eft plus fujette, & lui feul eft rebelle.

ARON, S.

Ah! quand il feroit vray que l'abfolu pouvoir
Eût entraîné Tarquin par-de-là fon devoir,
Qu'il en eût trop fuivi l'amorce enchantereffe :
Quel homme eft fans erreur? & quel Roi fans foi-
bleffe?

.

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