Je le fçai. Mais... du Ciel qui tonne fur ma tête J'entends la voix qui crie: arrête, Ingrat, arrête, Tu trahis ton Pais...Non, Rome! non, Brutus! Dieux qui me fecourez! je fuis encor Titus; La gloire a de mes jours accompagné la course; Je n'ai point de mon fang déshonoré la fource; Votre victime eft pure, & s'il faut qu'aujourd'hui Titus foit aux forfaits entraîné malgré lui,
S'il faut que je fuccombe au Deftin qui m'opprime, Dieux fauvez les Romains, frappez avant le crime.
Aiffe-moi. Je ne veux lui parler, ni l'entendre ; A des affronts nouveaux faut-il encor m'attendre ; Faut-il voir le cruel allumer tour à tour
Le flambeau de la haine, & celui de l'amour; De quel faififfement je demeure frapée ! Miniftre dangereux pour-quoi m'as-tu trompée? Et lorfqu'un prompt départ alloit m'en séparer, Pourquoi pour mon malheur l'as-tu pu différer?
ALGINE.
On vous attend, Madame.
TULLIE.
Et je ne demeure encore!
Et je ne puis quitter un féjour que j'abhorre! De mes lâches regrets je me fens confumer; Pour qui? pour un ingrat, qui rougit de m'aimer. Malheureufe! eft-ce à toi d'éclater en murmures? Tu méritas trop bien ta honte, & tes injures, Quand, du pur fang des Rois trahiffant la fplendeur, D'un Sujet révolté l'amour fit ton vainqueur.
Tu vois comme il me traitte; il ne m'a point fuivie Fier de fes attentats, & plein de fa Patrie, Le cruel s'applaudit de fa fauffe vertu.
Plus que vous ne pensez Titus eft combattu; Ainfi que votre amour il reffent vos allarmes; Je l'ai vû retenir, & répandre des larmes. Vous-même, contre vous, témoin de fes efforts, Vous devriez, Madame, excufer fes remords; Ils font dignes de vous; fon cœur noble & fincere, Imitant vos vertus, ne peut trahir fon Pere. Que dis-je ? vous fçavez par quels affreux fermens Rome à fes interêts enchaine fes Enfans.
Ce matin dans ces lieux Titus juroit encore Une haine éternelle à ce fang qu'il adore; Que peut faire, après tout, son cœur désesperé? TULLI E.
M'obéir, il n'a point de devoir plus facré; Quoi donc, tant de Romains, Tiberinus fon frere Briguent de me vanger, fans efpoir de me plaire; Et lui. . . dirai-je hélas? lui fi cher à mes yeux, Lui fans qui déformais le jour m'eft odieux, Après que mon devoir, après que fa tendreffe, A cet excès d'amour ont conduit ma foiblefse. Lui me trahir?
Au fonds de fon cœur agité,
Vous l'emportez fur Rome, & fur la liberté.
Ah! Liberté coupable, & Vertu de rebelle ! Ah! plus cruel Amant que Citoyen fidéle ! N'attendons plus, partons, fi je puis, fans regret. Je ne fçai quelle horreur m'épouvante en secret. Peut-être ma terreur eft injufte & frivole; Mais je vois en tremblant cet affreux Capitole ; Je crains pour Titus même ; & Brutus à mes yeux Paroît un Dieu terrible, armé contre nous deux; J'aime, je crains, je pleure, & tout mon cœur s'égare; Allons...
Ah! dans ce jour affreux,
Je fçais ce que je dois, & non ce que je veux; Je n'ai plus de raison, vous me lavez ravie. Eh bien guidez mes pas, gouvernez ma furie; Regnez donc en Tiran fur mes fens éperdus;
Dictez, fi vous l'ofez, les crimes de Titus. Non plûtôt que je livre aux flammes, au carnage Ces murs, ces Citoyens, qu'a fauvés mon courage: Qu'un Pere, abandonné par un fils furieux, Sous le Fer de Tarquin...
TULLIE.
M'en préfervent les Dieux;
La Nature te parle, & fa voix m'eft trop chere; Tu m'as trop bien appris à trembler pour un Pere; Raffure-toi, Brutus eft déformais le mien; Tout mon fang eft à toi, qui te répond du fien: Notre amour, mon hymen, mes jours en font le gage; Je ferai dans tes mains, fa fille, fon otage; Peux-tu déliberer? penses-tu qu'en fecret Brutus te vît au Trône avec tant de regret; Il n'a point fur fon front placé le Diadême; Mais, fous un autre nom, n'eft-il pas Roy lui-même? Son Regne eft d'une année, & bien-tôt... mais hélas! Que de foibles raifons! fi tu ne m'aimes pas. Je ne dis plus qu'un mot. Je pars. . . & je t'adore. Tu pleures, tu frémis, il en eft temps encore; Acheve, parle, Ingrat, que te faut-il de plus ?
Votre haine; elle manque au malheur de Titus.
Ah! c'eft trop effuyer tes indignes murmures, Tes vains engagemens, tes plaintes, tes injures; Je te rends ton amour, dont le mien eft confus;
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