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long-temps & d'où fortirent des favans célèbres.

Affujettis dans les villes à refpecter les rites Catholiques, à s'abftenir du commerce & du travail les jours de fêtes, à faluer le S. Sacrement lorfqu'on le portoit aux malades, ou à fe cacher, & à beaucoup d'autres pratiques, qu'ils prétendoient bleffer leur confcience, les Calviniftes fe réfugioient dans les campagnes, où les feigneurs de leur religion les admettoient aux prêches de leurs châteaux; mais la cour les priva bien-tôt de cette reffource, en fixant le nombre & la qualité de ceux qui pouvoient être reçus à ces prêches, & en difputant même à plufieurs feigneurs le droit d'en avoir; ce qui menoit à interdire les miniftres, à les chaffer comme inutiles, & à abattre les temples. On en comptoit déja plus de fept cents détruits, par différentes raifons, avant la révocation de l'édit de Nantes.

Par ces ruines, on peut juger de l'édifice. Quelque bien ordonné qu'il fût, quelque folidement qu'il eût été conftruit, tant de coups l'avoient ébranlé, & il ne fubfiftoit plus qu'à l'aide d'une foible étaie, que la politique de la cour Tome III. Ff

n'avoit confervé que pour fapper le refte avec plus de fureté. Cet unique appui étoit l'édit de Nantes, dont le nom fervoit à autorifer les reftrictions faites aux privilèges des Calviniftes & des nouvelles Loix qu'on leur impofoit. Il n'y eut prefqu'aucun de ces réglemens dont le préambule n'affurât qu'il étoit fait en interprétation de l'édit de Nantes. Mais fi-tôt que le moment de ne plus employer cette rufe fut venu, Louis XIV le révoqua le vingt-deux Octobre 1685, › par un autre édit enregiftré le même jour,& compofé d'onze articles.

Le premier fupprime tous les priviléges accordés aux prétendus réformés par Henri IV & Louis XIII. Le deuxième & le troifième interdifent l'exercice de leur religion par tout le royaume, fans exception. Le quatrième ordonne à tous les miniftres de fortir de France, fous quinzaine. Le cinquième & le fixième fixent des récompenfes à ceux qui fe convertiroient. Par le feptième il leur eft défendu de tenir des écoles, & enjoint par le huitième aux pères, mères & tuteurs de faire élever Les enfans dans la religion Catholique, Les neuvième & dixième promettent

amniftie & reftitution de leurs biens aux émigrans qui reviendroient fous quatre mois. Enfin, le onzième renouvelle la menace des peines afflictives déja prononcées contre les relaps, & permet aux Calviniftes de demeurer dans leurs maifons, de jouir de leurs biens, de faire leur commerce fans qu'on puiffe les inquiéter, fous prétexte de religion, pourvu qu'ils ne s'affemblent pas pour l'exercer.

ce,

Cette dernière conceffion qui accordoit une efpèce de liberté de confcien fut étrangement violée par le zèle outré de quelques perfonnes en place, qui occafionna les vexations auxquelles on donna le nom de dragonade. Comme le roi, en envoyant fon édit dans les provinces, recommandoit aux commandans, gouverneurs & intendans la plus grande fermeté dans l'exécution, plufieurs fe crurent autorisés à employer la violence, comme un moyen court, plus facile & peut-être plus efficace l'inftruction. Dans cette idée, ils faifoient accompagner les miffionnaire's par des foldats nommés dragons. Ceuxci, fous prétexte de chercher les Calviniftes pour les mener aux catéchi

que

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mes & à la meffe, fe répandoient dans les maisons, s'y établiffoient comme en pays ennemi, pilloient les meubles, confommoient les provifions, & fe portoient fouvent aux derniers excès d'indécence & de cruauté. Ces mauvais traitemens perfuadèrent aux réformés qu'on avoit réfolu de les exterminer, & cette idée leur fit prendre en foule la fuite hors du royaume. On compte qu'il en fortit plus de deux cents mille.

La France gémit encore de la défertion de ses enfans. La perte qu'elle fit alors eft certaine, au lieu que les guer res civiles & les autres maux, qu'on a voulu prévenir, pouvoient ne pas arriver. Cependant, à balancer les espérances par les craintes, tant de précautions employées inutilement, pour cimenter la paix; tant de traités rompus, tant de calamités, fuites funeftes d'une divifion toujours exiftante, de quelque côté qu'en foit la faute, ou des Catholiques trop intolérans, ou des réfor més qui vouloient trop s'étendre, montrent bien que ces deux religions ne pouvoient fubfifter ensemble, dans un royaume conftitué comme la France, & excufent en quelque manière les

miniftres qui crurent expédient de facrifier l'une à l'autre.

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En comptant ceux qui feroient nés des profcrits, la France y a perdu plufieurs millions de citoyens ; mais elle y a gagné plufieurs millions d'autres, que les hoftilités, continuées encore quatre-vingts ans, auroient peut-être empêché de naître. Nous aurions pu ne point exifter, ou exister malheureux : & nous vivons. Nos arts ont été

tranfportés chez les étrangers; mais nos compatriotes tranfplantés au milieu d'eux, ont répandu par leurs difcours & leurs exemples un goût, que la vue muète de nos ouvrages n'auroit pu infpirer: & nos artiftes établis chez eux ne pouvant fuffire à fatisfaire cette paffion du luxe qu'ils leur avoient communiqué, il a fallu recourir à la France, dont le commerce n'a fouffert qu'en ce qu'il ne s'eft pas augmenté à proportion des befoins fuggérés à nos voisins.

Tout examiné au flambeau de la politique & de la faine raison, il réfulte que ceux qui blâment aigrement la révocation de l'édit de Nantes, reffemblent à un homme qui revenu en pleine fanté, murmureroit contre les chirurgiens de ce qu'ils lui auroient coupé un

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