Des Tombeaux, des Ombres, & de la Mort. VANT que nous poursuivions l'examen des vivans, dit le Démon, troublons pour quelques momens le repos des morts de cette Eglife. Parcourons tous ces Tombeaux; dévoilons ce qu'ils recelent, voyons ce qui les a fait élever. Les premier de ceux qui font à main droite, contient les tristes restes d'un Officier Général, qui comme un autre Agamemnon, trouva au retour de la A Tome II. guer guerre, un Egysthe dans sa maison. Il y a dans le second, un jeune Cavalier de noble race, qui voulant montrer fon adrefle & fa vigueur à sa Dame, un jour de combats de Tauraux, fut cruellement occis par un de ces animaux-là. Et dans le troifiéme git un vieux Prélat forti de ce monde affez brusquement, pour avoir fait fon teftament en pleine santé, & l'avoir lû à ses domeftiques, a qui comme un bon maître, il léguoit quelque chose. Son Cuifinier fut impatient de recevoir son legs. Il repose dans le quatrième maufolée, un Courtisan qui ne s'eft jamais fatigué qu'à faire fa cour. On le vit pendant foixante ans tous les jours au lever, au dîner, au fouper & au coucher du Roi, qui le combla de bienfaits pour récompenfer fon affiduité. Au refte, dit Don Cléofas, ee Courtisan étoit-il homme à rendre service? A perfonne, repondit le Diable. Il promottoit volontiers de faire plaifir; mais il ne tenoit jamais fes promeffes. Le miferable, repliqua Léandro! Si l'on vouloit retrancher de la société civile les hommes qui y font de trop, il faudroit commencer par les Courtisans de ce caractére-là. Le Le cinquième Tombau, reprit Afmodée, renferme la dépoüille mortelle d'un Seigneur zèlé pour la Nation Efpagnole, & jaloux de la gloire de fon Maître. Il fut toute sa vie Ambaffadeur à Rome ou en France, en Angleterre ou en Portugal. Il se ruïna fi bien dans ses Ambassades, qu'il n'avoit pas dequoi se faire enterrer quand il mourut. Mais le Roi en fit la dépense, pour reconnoître ses services. Pafsons aux Monumens qui font de l'autre côté. Le premier est celui d'un gros Négociant, qui laissa de grandes richeffes à ses enfans; mais de peur qu'elles ne leur fiffent oublier de qui ils étoient fortis, il fit graver fur fon Tombeau fon nom & fa qualité: ce qui ne plait guéres aujourd'hui à ses defcendans. Le Mausolée qui fuit, & qui furpaffe tous les autres en magnificence, ef est un morceau que les voyageurs regardent avec admiration. En effet, dit Zambullo, il me paroît admirable. Je fuis enchantée, fur tout de ces deux représentations qui font à genoux. Voilà des figures bien travaillées. Que le Sculpteur qui les a faites étoit un habile ouvrier! mais aprenez-moi, de grace, A 2 grace, ce que les personnes qu'elles représente ont été pendant leur vie. Le Boiteux reprit : Vous voyez un Duc & fon Epouse. Ce Seigneur étoit Grand Sommelier du Corps. Il rem-pliffoit fa Charge avec honneur, & fa femme vivoit dans une haute dévotion. Il faut que je vous raporte un trait de cette bonne Duchefse. Vous le trouverez un peu gaillard, pour une dévote. Le voici. Cette Dame avoit pour Directeur, depuis long-tems, un Religieux de la Merci, nommé Don Jerôme d'Aguilar, homme de bien, & fameux Prédicateur. Elle en étoit très-fatisfaite, lorsqu'il parut à Madrid un Dominicain qui se mit à prêcher, de façon que tout le peuple en fut enchanté. Ce nouvel Orateur s'apelloit le Frere Placide. On couroit à ses Sermons, comme à ceux du Cardinal Ximenès: & fur fal réputation, la Cour ayant voulu l'en-> tendre, en fut encore plus contente que la Ville. 90 Notre Duchesse se fit d'abord unpoint d'honneur de tenir bon contre la renommée, & de refifter à la curiofité d'aller juger par elle-même de l'élo quence du Frere Placide. Elle en ufoit ainfi A |