5 Elle s'abandonna au panchant qui l'entraînoit; & bien loin de servir le reffentiment de fon frere, elle entretint avec Fabrice une secrette intelligence, par l'entremise de la femme Maure, qui le faisoit entrer quelquefois la nuit dans la chaumiere. Mais Don Thomas eut quelque soupçon de ce qui se paffoit. Sa fœur lui devint suspecte. Il l'observa, & fut convaincu par ses propres yeux qu'au-lieu de répondre aux intentions de la famille, elle les trahifsoit. Il en avertit promptement deux de ses Coufins, qui, prenant feu à cette nouvelle, commencérent à crier, Vengeance, Dona Thomas; vengeance! Xaral, qui n'avoit pas besoin d'être excité à tirer raison d'une offense de cette nature, leur dit avec une modeftie Espagnole, qu'il verroient l'usage, qu'il sçavoit faire de fon épée, quand il s'agissoit de l'employer à venger fon honneur. Enfuite il les pria de fe rendre chez lui, à l'entrée d'une nuit qu'il leur marqua. Ils furent très-exacts à s'y trouver. II les introduifit, & les cacha dans une petite chambre, fans que personne de la maison s'en aperçût; puis il les quitta, en leur disant qu'il reviendroit lesjoindre, auffi-tôt que le Galand seroit enτμέ tré dans le Château, fuposé qu'il s'avisat d'y venir cette nuit-là ce qui ne manqua pas d'arriver, la mauvaise étoile de nos Amans ayant voulu qu'ils choififfent cette même nuit pour s'entretenir. Déja Fabricio étoit avec sa chere Hipolite. Ils commençoient à se tenir des difcours qu'ils s'étoient déja tenus cent fois; mais qui, bien que répétez fans ceffe , ont toûjours le charme de la nouveauté; lorsqu'ils furent défagréablement interrompus par les Cavaliers qui veilloient pour les furprendre. Don Thomas & fes Cousins vinrent fondre tous trois courageusement fur Fabrice, qui n'eut que le tems de se metrre en défense, & qui, jugeant à leur action, qu'ils vouloient l'affaffiner, se battit en désespéré. Il les blessa tous les trois & leur presentant toûjours la pointe de fon épée, il eut le bonheur de gagner la porte, & de se sauver. Alors Xaral, voyant que son ennemi lui échapoit, après avoir impunément deshonoré sa maison, tourna fa fureur contre la malheureuse Hipolite, & lui plongea fon épée dans le cœur ; & fes deux parens, très-mortifiez du mauvais succès de leur complot, se retirérent, chez eux avec leurs bleffures. De Demeurons en là, poursuivit Afmodée. Quand nous aurons vu passer tous les Captifs, j'acheverai l'Hiftoire de celui-ci. Je vous raconterai de quelle forte, après que la Justice se fut emparée de tous fes biens, à l'occasion de ce funeste évenement, il eut le malheur d'être fait esclave en voyageant fur mer. Pendant que vous me faifiez le récit que vous avez fait, dit Don Cléofas, j'ai remarqué parmi ces infortunez, un jeune-homme qui avoit l'air fi triste, fi languissant, qu'il s'en est peu falu que je ne vous aye interrompu, pour vous en demander la cause. Vous n'y perdrez rien, répondit le Démon. Je puis vous aprendre ce que vous fouhaitez de sçavoir. Ce Captif, dont l'abattement vous a frapé, est un enfant de famille de Valladolid. Il étoit en esclavage depuis deux ans, chez un Patron qui a une femme très-jolie. Elle aimoit violemment cet Esclave, qui payoit fon amour du plus vif attachement. Le Patron s'en étant douté, s'est hâté de vendre le Chrétien, de peur qu'il ne travaillât chez lui à la propagation des Turcs. Le tendre Caftillan, depuis ce tems-là, pleure sans cesse la perte de fa Patrone. La liberté ne peut l'en confoler. Un Un Vieillard de bonne mine attire mes regards, dit Léandro Perez. Qui eft cet homme-là? Le Diable répondit: C'est un Barbier natif de Guipuscoa, qui va s'en retourner en Biscaye, après quarante ans de captivité. Lorsqu'il tomba au pouvoir d'un Corsaire, en allant de Valence à l'Isle de Sardaigne, il avoit une femme, deux garçons, & une fille. Il ne lui reste plus de tout cela, qu'un fils, qui, plus heureux que lui, a été au Perou, d'où il est revenu avec des biens immenfes dans son païs, où il a fait l'acquifition de deux belles Terres. Quelle fatisfaction, reprit l'Ecolier, quel ravissement pour ce fils, de revoir fon pere, & d'être en état de rendre ses derniers jours agréables & tranquilles! Vous parlez, répartit le Boiteux, en enfant plein de tendresse & de sentiment. Le fils du Barbier Biscayen est d'un naturel plus coriace. L'arrivée imprévuë de fon pere lui caufera plus de chagrin, que de joye. Au lieu de le retenir dans sa maison à Guipuscoa, & de ne rien épargner pour lui marquer qu'il est ravi de le poffeder, il pourra bien le faire Concierge d'une de ses Terres. Derriere ce Captif qui vous paroit de fi si bonne mine, il y en a un autre qui ressemble comme deux gouttes d'eau à un vieux Singe. C'est un petit Médecin Arragonois. Il n'a pas été quinze jours à Alger. Dès que les Turcs ont sçû de quelle profession il étoit, ils n'ont pas voulu le garder parmi eux. Ils ont mieux aimé le remettre fans rançon aux Peres de la Merci qui ne l'auroient afssurément pas racheté, & qui ne l'ont ramené qu'à regret en Espagne. Vous qui êtes fi compatissant aux peines d'autrui, ah! que vous plaindriez cet autre Esclave, qui a sur sa tête chauve une calotte de drap brun, fi vous saviez tous les maux qu'il a foufferts à Alger pendant douze ans, chez un Renégat Anglois, son Patron. Et qui eft ce pauvre Captif, dit Zambullo? C'est un Cordelier de Navarre, répondit le Démon. Je vous avoue que je suis bien aise qu'il ait pâti comme un miférable, puisqu'ila, par ses difcours de morale, empêché plus de cent Efclaves Chrétiens de prendre le Turban. Je vous dirai avec la même franchise, répliqua Don Cléofas, que je suis fâché que ce bon Pere ait été fi long-tems à la merci d'un Barbare. Vous avez tort de vous en affliger, & moi de m'en réjouir, |