réjouit, répartit Asmodée. Ce Reliligieux a fi bien mis à profit fes douze années de fouffrances, qu'il eft plus avantageux pour lui d'avoir paffé tout ce tems-là dans les tourmens, que dans fa cellulle, à combattre des tentations qu'il n'auroit pas toûjours vaincuës. Le premier Captifaprès ce Cordelier, dit Leandro Pérez, a l'air bien tranquille, pour un homme qui revient de l'esclavage. Il excite ma curiofité à vous demander ce que c'est que ce perfonnage. Vous me prévenez, répondit le Boiteux; j'allois vous le faire remarquer. Vous voyez en lui un bourgeois de Salamanque, un pere infortuné, un mortel devenu infenfible aux malheurs 2 à force d'en avoir éprouvé. Je fuis tenté de vous aprendre fa pitoyable Hiftoire,& de laiffer là le refte des Captifs; auffi-bien, après celui-ci, il y en a peu dont les Avantures méritent de vous être racontées. L'Ecolier, qui déja commençoit à s'ennuyer de voir paffer tant de triftes fr gures, témoigna qu'il ne demandoit pas mieux. Auffi-tôt le Diable lui fit le récit contenu dans le Chapitre fuivant, CHAS CHAPITRE IX. De la derniere Hiftoire qu'Afmodée raconta: comment en la finissant il fut tout à coup interrompus & de quelle maniere défagréable pour ce Démon, Don Cléofas & lui furent féparez. P P Ablos de Bahabon, fils d'un Alcalde de Village de la Caftille vieille, après avoir partagé avec un frere & une fœur la modique fucceffion que leur pere, quoique des plus avares, leur avoit Jaiffée, partit pour Salamanque, dans le deffein d'aller groffir le nombre des Ecoliers de l'Univerfité. Il étoit bien fait, il avoit de l'efprit, & il entroit alors dans fa vingt-troifiéme année. Avec un millier de Ducats qu'il poffedoit, & une difpofition prochaine à les manger, il ne tarda guères à faire parler de lui dans la Ville. Tous les jeunes gens rechercherent à l'envi fon amitié. C'étoit à qui feroit des parties de plaifir, que Don Pablos faifoit tous les jours. Je dis Don Pablos, parce qu'il avoit pris le Don, pour être en Tome II. I droit droit de vivre plus familierement avec deux des Ecoliers dont la Nobleffe auroit pu l'obliger à fe contraindre. Il aimoit tant la joye & la bonne chere, & il ménagea fi peu fa bourse, qu'au bout de quinze mois, l'argent lui manqua. Il ne laiffa pas toutefois de rouler encore, tant par le crédit qu'on lui fit, que par quelques piftoles qu'il emprunta. Mais cela ne put le mener loir;& il demeura bien-tôt fans reffource. Alors fes amis, le voyant hors d'état de faire de la dépenfe, cefférent de le voir, & fes créanciers commencérent à le tourmenter. Quoiqu'il affurât ceuxci, qu'il alloit inceffamment recevoir des Lettres de change de fon Païs, quelques-uns s'impatientérent, & le pourfuivirent même fi vivement en Juftice, qu'ils étoient fur le point de le faire emprifonner, lorfqu'en fe promenant fur les bords de la Riviere de Tormés, il rencontra une perfonne de fa connoiffance, qui lui dit: Seigneur Don Pablos, prenez garde à vous: je vous avertis qu'il y a un Alguazil & des Archers à vos trouffes. Ils prétendent vous mettre la main fur le collet, quand vous rentrerez dans la Ville. Bahabon, effrayé d'un avis qui ne s'accordoit cordoit que trop avec l'état de fes affaires, prit fur le champ la fuite, & le chemin de Corita. Mais il quitta la route de ce Bourg, pour gagner un bois qu'il aperçut dans la campagne, & dans lequel il s'enfonça, réfolu de s'y tenir caché, jufqu'à ce que la nuit vint lui prêter fes ombres, pour continuer fa marche plus fürement. C'étoit dans la faifon où les arbres font parez de toutes leurs feuilles. Il choifit le plus touffu, pour.y monter, & s'y affit fur des branches qui l'envelopoient de leur feuillage. Se croyant en fûreté dans cet endroit, il perdit peu à peu la crainte de l'Alguazil, & comme les hommes font ordinairement les plus belles refléxions du monde, quand les fautes font commifes, il fe repréfenta toute fa mauvaise conduite, & fe promit bien à lui-même, fi jamais il fe revoyoit en fonds, de faire un meilleur ufage de fon argent. Il jura fur-tout, qu'il ne feroit jamais la dupe de ces faux amis, qui entraînent un jeune homme dans la débauche, & dont l'amitié fe diffipe avec les fumées du vin. Tandis qu'il s'occupoit des différentes penfées qui fe fuccédoient les unes I 2 aux 1 aux autres dans fon efprit, la nuit furvint. Alors fe démêlant d'entre les branches & les feuilles qui le couvroient, il étoit prêt à fe couler en bas, lorf qu'à la foible clarté d'une nouvelle Lune, il crut difcerner une figure d'homme. A cette vûë, qui lui rendit fa premiere peur, il s'imagina que c'étoit l'Alguazil, qui l'ayant fuivi à la pifte, le cherchoit dans ce bois, & fa frayeur redoubla, quand il vit qu'au pied du même arbre fur lequel il étoit, cet homme s'affit, après en avoir fait le tour deux ou trois fois. Le Diable Boiteux s'interrompit luimême en cet endroit de fon récit: Seigneur Zambullo, dit-il à Don Cléofas, permettez-moi de jouir un peu de l'em baras où je mets votre efprit en ce mo ment. Vous êtes fort en peine de fça voir qui pourroit être ce mortel qui fe trouvoit là fi mal à propos, & ce qui l'y amenoit. C'eft ce que vous aprendrez bien-tôt. Je n'abuferai point de votre patience. Cet homme, après s'être affis au pied de l'arbre, dont l'épais feuillage déroboit à fes yeux Don Pablos, s'y repofa quelques inftans. Puis il fe mit à creufer la terre avec un poignard, & fit |