timens, que d'atraper une plaifanterie fine & délicate. Grace, au Ciel, dit le Tragique d'un air dédaigneux, fi j'ai le malheur de n'avoir pas votre estime, je crois devoir m'en confoler. La Cour juge plus favorablement de moi, que vous ne faites; & la penfion dont elle m'a bien voulu.... Eh! ne croyez pas m'ébloüir avec vos penfions de Cour, interrompt Calidas. Je sçai trop de quelle maniére on les obtient, pour en faire plus de cas de vos ouvrages. Encore une fois, ne vous imaginez pas mieux valoir que les Auteurs comiques. Et pour vous prouver même, que je fuis convaincu qu'il est plus aifé de compofer des Poëmes Dramatiques sérieux, que d'autres, c'est que fi je retourne en France, & que je n'y réüssisse pas dans le Comique, je m'abaisserai à faire des Tragé dies. Pour un Composeur de Farces, dit là-dessus le Poëte tragique, vous avez bien de la vanité. Pour un Verificateur qui ne doit fa réputation qu'à de faux brillans, dit l'Auteur comique, vous vous en faites bien acroire. Vous êtes un infolent, a repliqué l'autre. Si e n'étois pas chez-vous, mon petit Monfieur Calidas, la péripetie de cette avanture vous aprendroit à respecter le Cothurne. Que cette considération ne vous retienne point, mon grand Monfieur Giblet, a répondu Calidas. Si vous avez envie de vous faire battre, je vous battrai auffi-bien chez moi qu'ailleurs. En même-tems, ils se sont tous deux pris à la gorge & aux cheveux, & les coups de poing & de pied n'ont pas été épargnez de part & d'autre. Un Italien, couché dans la chambre voifine, a entendu tout ce dialogue, & au bruit que les Auteurs faifoient en se battant, il a jugé qu'ils étoient aux prises. Ii s'est leve; &, par compaffion pour ces François, quoiqu'Italien, il a apellé du monde. Un Flamand & deux Allemands, qui font ces personnes que vous voyez en robe de chambre, viennent avec l'Italien séparer les combattans. Ce démêlé paroit plaifant, dit Don Cléofas. Mais, à ce que je vois, les Auteurs Tragiques, en France, s'imaginent être des personnages plus importans que ceux qui ne font que des Comédies. Sans doute, répondit Afmodée. Les premiers se croyent autant au-dessus des autres, que les Héros des Trage D3 Tragédies font au-dessus des Valets des piéces comiques. Eh! fur quoi fondent-ils leur orguëil, repliqua l'Ecolier? Eft-ce qu'il feroit en effet plus difficile de faire une Tragédie, qu'une Comédie? La question que vous me faites, répartit le Diable, a cent fois été agitée, & l'eft encore tous les jours. Pour moi, voici comme je la décide, n'en déplaise aux hommes qui ne font pas de mon fentiment: Je dis, qu'il n'est pas plus facile de compofer une Piece Comique, qu'une Tragique; car fi la derniere étoit plus difficile que l'autre, il faudroit conclure de là, qu'un faifeur de Tragédies feroit plus capable de faire une Comédie, que le meilleur Auteur Comique: ce qui ne s'accorderoit pas avec l'expérience. Ces deux fortes de Poëmes demandent donc deux Génies d'un caractere different, mais d'une égale habileté. Il est tems, ajouta le Boiteux, de finir la digreffion. Je vais reprendre le fil de l'Histoire que vous avez interrompuë. CHACHAPITRE IV. Suite & conclusion de l'Histoire de la force de l'Amitié. S I les Valets de Dona Théodora n'avoient pu empêcher fon enlevement, ils s'y étoient du moins oposez avec courage, & leur résistance avoit été fa- tale à une partie des gens d'Alvaro Ponce. Ils en avoient entre autres bleftë un fi dangereusement, que ses blessures ne lui ayant pas permis de fuivre fes camarades, il étoit demeuré presque sans vie étendu fur le fable. On reconnut ce malheureux pour un Valet de Don Alvar ; & comme on s'aperçût qu'il respiroit encore, on le porta au Château, où l'on n'épargna rien pour lui faire reprendre ses esprits. On en vint à bout, quoique le fang qu'il avoit perdu l'eût laifle dans une extrême foiblesse. Pour l'engager à parler, on lui promit d'avoir foin de ses jours, & de ne le pas livrer à la rigueur de la Justice, pourvu qu'il voulût dire où son Maître emmenoit Dona Théodora. D4 II Il fut flaté de cette promeffe, bien qu'en l'état où il étoit, il dût avoir peu d'espérance d'en profiter. Il rapella le peu de force qui lui restoit, & d'une voix foible confirma l'avis que Don Fadrique avoit reçu. Il ajoûta enfuite, que Don Alvar avoit deflein de conduire la Veuve de Cifuentes à Saffari dans l'Isle de Sardaigne, où il avoit un parent dont la protection & l'autorité lui promettoient un fûr azyle. Cette dépofition foulagea le desespoir de Mendoce & du Toledan. Ils laifferent le blesse dans le Château, où il mourut quelques heures après ; & ils s'en retournerent à Valence, en fongeant au parti qu'ils avoient à prendre. Ils réfolurent, d'aller chercher leur ennemi commun dans sa retraite. Ils s'embarquérent bien-tôt tous deux, fans fuite, à Dénia, pour paffer au port Mahon, ne doutant pas qu'ils n'y trouvassent une commodité pour aller à l'Ifle de Sardaigne. Effectivement, ils ne furent pas plûtôt arrivez au Port Mahon, qu'ils aprirent qu'un vaisleau fretté pour Cagliari devoit incessamment mettre à la voile. Ils profitérent de l'occafion. Le vaisseau partit avec un vent tel qu'ils le pouvoient souhaiter: mais, cinq Qu |