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De

vons à perfonne, que nous apportons Homme, en naiffant, & que nous fortifions par l'habitude: il y en a d'autres que l'on contracte, & qui nous font étrangers. L'on cft né quelquefois avec des mœurs faciles, de la complaifance & tout le defir de plaire : mais par les traitemens que l'on reçoit de ceux avec qui l'on vit, ou de qui l'on dépend, l'on eft bien-tôt jetté hors de fes mefures, & même de fon naturel, l'on a des chagrins, & une bile que l'on ne fe connoiffoit point, l'on fe voit une autre complexion, l'on eft enfin étonné de fe trouver dur & épi

neux.

* L'on demande pourquoi tous les hommes enfemble ne compofent pas comme une feule Nation, & n'ont point voulu parler une même langue, vivre fous les mêmes Loix, convenir entr'eux des mêmes ufages & d'un même culte : & moi penfant à la contrarieté des efprits, des goûts & des fentimens, je fuis étonné de voir jufques à fept ou huit perfonnes fe raffembler fous un même toît, dans une même enceinte, & compofer une feule famille.

I

CHAP

Il y a d'étranges peres, & dont toute la vie ne femble occupée qu'à XI. préparer à leurs enfans des raifons de fe confoler de leur mort.

* Tout est étranger dans l'humeur les mœurs & les manieres de la plûpart des hommes. Tela vêcu pendant toute fa vie, chagrin, emporté, avare, rampant, foumis, laborieux, intereffé, qui étoit né gai, paisible, pareffeux, magnifique, d'un courage fier, & éloigné de toute baffeffe. Les befoins de la vie, la fituation où l'on fe trouve, la loi de la néceffité, forcent la nature & y caufent ces grands changemens. Ainfi tel homme au fonds & en lui-même ne fe peut définir: trop de chofes qui font hors de lui, l'alterent, le changent, le bouleverfent, il n'eft point précisément ce qu'il eft, ou ce qu'il paroît être.

* La vie eft courte & ennuyeuse, elle fe paffe toute à defirer : l'on remet à l'avenir fon repos & fes joies, à cet âge fouvent où les meilleurs biens ont déja disparu, la fanté & la jeuneffe. Ce tems arrive qui nous furprend encore dans les defirs on en est là, quand la fievre nous faifit & nous

éteint :

De

éteint: fi l'on eût guéri, ce n'étoit que Homme, pour defirer plus long-tems.

*Lorfqu'on defire, on fe rend à difcrétion à celui de qui l'on efpere: eft-on fûr d'avoir, on temporife, on parlemente, on capitule.

*Il eft fi ordinaire à l'homme de n'être pas heureux, & fi effentiel à tout ce qui eft un bien, d'être acheté par mille peines, qu'une affaire qui fe rend facile, devient fufpecte. L'on comprend à peine ou que ce qui coûte fi peu, puiffe nous être fort avantageux, ou qu'avec des mefures juftes, l'on doive fi aifément parvenir à la fin que l'on fe propofe. L'on croit mériter les bons fuccès, mais n'y devoir compter que fort rarement.

* L'homme qui dit qu'il n'eft pas né heureux, pourroit du moins le devenir par le bonheur de fes amis ou de fes proches. L'envie lui ôte cette derniere reffource.

* Quoi que j'aye pû dire ailleurs peut-être que les affligés ont tort: les hommes femblent être nés pour l'infortune, la douleur & la pauvreté: peu en échappent; & comme toute difgrace peut leur arriver, ils de

vroient

vroient être préparés à toute disgrace.

*Les hommes ont tant de peine à s'approcher fur les affaires, font fi épineux fur les moindres intérêts, fi hériffes de difficultés, veulent fi fort tromper, & fi peu être trompés, mettent fi haut ce qui leur appartient, & fi bas ce qui appartient aux autres, que j'avoue que je ne fai par où, & comment fe peuvent conclure les mariages, les contrats, les acquifitions, la paix, la treve, les Traités, les Alliances.

* A quelques uns l'arrogance tient -lieu de grandeur; l'inhumanité, de fermeté; & la fourberie, d'efprit.

Les fourbes croyent aifément que les autres le font ils ne peuvent guéres être trompés; & ils ne trompent pas long-tems.

Je me racheterai toujours fort volontiers d'être fourbe, par être ftupi-de & paffer pour tel.

On ne trompe point en bien, la fourberie ajoute la malice au menfonge.

S'il y avoit moins de duppes, il y auroit moins de ce qu'on appelle dés hommes fins ou entendus, & de ceux

CHAP.

XI..

De

Homme.

qui tirent autant de vanité que de diftinction, d'avoir fû pendant tout le cours de leur vie tromper les autres : comment voulez-vous qu'Erophile, à qui le manque de parole, les mauvais offices, la fourberie, bien loin de nuire, ont mérité des graces & des bienfaits, de ceux mêmes qu'il a ou manqué de fervir ou défobligés, ne préfume pas infiniment de foi & de fon induftrie?

* L'on n'entend dans les places & dans les rues des grandes Villes, & de la bouche de ceux qui paffent, que les mots d'exploit, de faifie, d'interrogatoire, de promeffe, & de plaider contre Sa promeffe eft ce qu'il n'y auroit pas dans le monde la plus petite équité ? Seroit-il au contraire rempli de gens qui demandent froidement ce qui ne -leur eft pas dû, ou qui refusent nette-ment de rendre ce qu'ils doivent ?

Parchemins inventés pour faire fouvenir ou pour convaincre les hommes de leur parole, honte de l'humanité.

Otez les paffions, l'intérêt, l'injuftice, quel calme dans les plus grandes Villes Les befoins & là fubfiftance n'y font pas le tiers de l'embarras.

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