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*La vie eft un fommeil. Les vieil

l'Homme, lards font ceux dont le fommeil a été plus long; ils ne commencent à fe réveiller que quand il faut mourir. S'ils repaffent alors fur tout le cours de leurs années, ils ne trouvent fouvent ni vertus, ni actions louables qui les diftinguent les unes des autres : ils confondent leurs différens âges, ils n'y voyent rien qui marque affez pour mefurer le tems qu'ils ont vêcu. Ils ont eu un fonge confus, informe, & fans aucune fuite : ils fentent néanmoins comme ceux qui s'éveillent qu'ils ont dormi long tems.

* Il n'y a pour l'homme que trois événemens, naître, vivre & mourir : il ne fe fent pas naître, il fouffre à mourir, & il oublie de vivre.

* Il y a un tems où la Raifon n'est pas encore, où l'on ne vit que par inftinct à la maniere des animaux, & dont il ne refte dans la mémoire aucun veftige. Il y a un fecond tems où la Raifon fe développe, où elle est formée, & où elle pourroit agir, fi elle n'étoit pas obfcurcie & comme éteinte par les vices de la complexion, & par un enchaînement de paffions

qui

qui fe fuccédent les unes aux autres, Chap. & conduifent jufques au troifiéme & XI. dernier âge. La Raifon alors dans fa force devroit produire, mais elle est refroidie & rallentie par les années, par la maladie & la douleur, déconcertée enfuite par le défordre de la machine qui eft dans fon déclin : & ces tems néanmoins font la vie de l'homme.

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* Les enfans font hautains, dédaigneux, coleres, envieux, curieux, intereffès, pareffeux, volages, timides, intemperans, menteurs, diffimalés, ils rient & pleurent facilement ils ont des joies immoderées & des afflictions ameres fur de très-petits fujets, ils ne veulent point fouffrir de mal, & aiment à en faire : ils font déja des hommes.

*Les enfans n'ont ni paffe ni avenir; & ce qui ne nous arrive guéres, ils jouiffent du préfent.

Le caractère de l'enfance paroît unique: les mœurs dans cet âge font affez les mêmes; & ce n'eft qu'avec une curieuse attention qu'on en pénétre la différence : elle augmente avec la Raifon, parce qu'avec celle-ci croif

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fent

De

fent les paffions & les vices, qui feuls l'Homme. rendent les hommes fi diffemblables entr'eux, & fi contraires à eux-mê

mes.

* Les enfans ont déja de leur ame l'imagination & la mémoire, c'est-àdire, ce que les vieillards n'ont plus; & ils en tirent un merveilleux ufage pour leurs petits jeux & pour tous leurs amusemens: c'eft par elles qu'ils répétent ce qu'ils ont entendu dire qu'ils contrefont ce qu'ils ont vú faire, qu'ils font de tous métiers, foit qu'ils s'occupent en effet à mille petits ouvrages, foit qu'ils imitent les divers artifans par le mouvement & par le gefte, qu'ils fe trouvent à un grand feltin & y font bonne chere, qu'ils fe tranfportent dans des Palais & dans des lieux enchantés , que bien que feuls ils fe voyent un riche équipage & un grand cortege, qu'ils conduifent des Armées, livrent bataille, & jouiffent du plaifir de la victoire, qu'ils parlent aux Rois & aux plus grands Princes, qu'ils font Rois euxmêmes, ont des Sujets, poffedent des tréfors qu'ils peuvent faire de feuilles d'arbres ou de grains de fable, & ce

qu'ils ignorent dans la fuite de leur vie, favent à cet âge être les arbitres de leur fortune, & les maîtres de leur propre félicité.

* Il n'y a nuls vices extérieurs, & nuls défauts du corps qui ne foient apperçus par les enfans ils les faififfent d'une premiere vûe, & ils favent les exprimer par des mots convenables: on ne nomme point plus heureufement. Devenus hommes, ils font chargés à leur tour de toutes les imperfections dont ils fe font moqués.

* L'unique foin des enfans eft de trouver l'endroit foible de leurs maîtres, comme de tous ceux à qui ils font foumis dès qu'ils ont pú les entamer, ils gagnent le deffus, & prennent sur eux un afcendant qu'ils ne perdent plus. Ce qui nous fait décheoir une premiere fois de cette fupériorité à leur égard, eft toujours ce qui nous empêche de la recouvrer.

* La pareffe, l'indolence & l'oifiveté, vices fi naturels aux enfans, difparoiffent dans leurs jeux, où ils font vifs, appliqués, exacts, amoureux des régles & de la fymmetrie, où ils ne fe pardonnent nulle faute les BS uns

CHAP

XI.

De

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uns aux autres, & recommencent l'Homme, eux mêmes plufieurs fois une feule chofe qu'ils ont manquée préfages certains qu'ils pourront un jour négliger leurs devoirs, mais qu'ils n'oublieront rien pour leurs plaisirs.

* Aux enfans tout paroît grand les cours, les jardins, les édifices, les meubles, les hommes, les animaux : aux hommes les chofes du monde paroiffent ainfi, & j'ofe dire par la même raifon, parce qu'ils font petits.

Les enfans commencent entre eux par l'Etat populaire, chacun y eft le maître; & ce qui eft bien naturel, ils ne s'en accommodent pas longtems, & paffent au Monarchique. Quelqu'un fe diftingue, ou par une plus grande vivacité, ou par une meilIcure difpofition du corps, ou par une connoiffance plus exacte des jeux différens & des petites loix qui les compofent les autres lui déférent, & il fe forme alors un Gouvernement abfolu qui ne roule que fur le plaifir.

* Qui doute que les enfans ne conçoivent, qu'ils ne jugent, qu'ils ne raifonnent conféquemment ? fi c'est feulement fur de petites chofes, c'est

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