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Barbares qui en avoient partagé les débris en corrompirent encore la langue par le mélange de leur jargon; & ce que les Lombards avoient fait à cet égard en Italie les Francs l'introduifirent dans les Gaules. Les Poëtes Provençaux & Gafcons mirent la Rime en honneur dans le X. fiécle, quoiqu'à vrai dire, elle fut encore bien barbare & bien imparfaite. A en juger par les chanfons du Comte de Champagne, elle commença à fe polir fous S. Louis; néanmoins, fi l'on en croit M. Defpréaux, clle doit fon plus grand luftre à Villon qui vivoit en 1460 : Quoiqu'il en foit, elle fait un des agrémens de la Poëfie Françoise. La Rime n'est le retour des mêmes fons à la fin des Vers, & non des mêmes Lettres; ce qui prouve que c'eft de l'ortographe de l'oreille, & non de celle des yeux que dépend la Rime: ainfi triompher & Enfer ne ri ment point, non plus que Mer & aimer, parce que leurs finales for ment une différence très-marquée

que

dans la prononciation, quoique dans l'écriture elles n'en forment aucune. On nomme ces fortes de Rimes, Rimes Normandes, parce qu'en Normandie on prononce Mé & Enfé au lieu de Mer & Enfer on en trou ve plufieurs dans le grandCorneille.

La Rime fe divife en Masculine & Féminine. La Rime Masculine eft celle qui fe termine par un é Ouvert, comme Liberté ou par quelqu'autre terminaifon que ce foit qui n'eft point une muet comme Heros, valeur, attraits, fecours. La Rime Féminine au contraire eft celle qui finit par une muet, foit qu'il termine absolument le mot comme dans victoire fortune, aurore, foit qu'il foit fuivi d'un s comme dans ces mots Rofes, Ber geres, Fleuves, ou de ces deux Lettres nt comme dans ceux ci, craię gnent, dédaignent, vainquirent, conquirent. Un mot ne rime point avec fui-même, non plus que le fimple avec fon compofé, ni les finguliers avec les pluriers; ce qui n'eft pas abfolument fans exception.

La richeffe des Rimes dépend d'une attention fcrupuleufe fur le choix que l'on en fait. On ne doit, à cet égard, fe permettre de licence que le moins qu'il eft poffible, parce qu'elle dégénere toujours en défaut. La Fontaine en a pris de grandes, & il n'a fallu rien moins qu'une infinité de beautés pour juftifier fa hardieffe. En général la reffemblance du fon ne fuffit pas pour que la Rime foit riche; mais il faut dans les Rimes mafculines une conformité de fon dans la derniere fillabe des mots qui terminent les Vers, comme heureux amoureux, qui ne forment néanmoins que des Rimes fuffifantes en comparaison de celles-ci, amou reux, langoureux, glorieux, victorieux, où non-feulement la derniere fillabe, mais encore la pénultiéme, & même l'anté-pénultiéme fe reffemblent. Dans les Rimes féminines l'uniformité du fon néceffaire, doit commencer à la pénultiéme comme fortune, Neptune, pour la fuffifance, & pour la richeffe à l'ante

pénultiéme comme fortune, importune, Socrate, Ifocrate. Rouffeau eft celui de tous nos Poëtes qui brille le plus par la richesse & la régularité des Rimes. Je ne dis rien du mélange & de la variété dont elles font fufceptibles. Perfonne n'ignore qu'on n'en fçauroit mettre plus de deux de fuite foit mafculines, foit féminines, fans choquer l'harmonie, & que les licences de quelques modernes en ce point n'autorifent perfonne à les imiter. Les Rimes croifées ont beaucoup de grace, même dans des piéces de gue haleine, & dans quelque mefure de Vers que ce foit : les Poëfies de M. Greffet peuvent ferwir de modéle en ce genre. Sur le refte du détail de la Rime, on peut confulter Richelet & la Poëfie Françoise de l'Abbé de Châ Jons. Examinons une queftion plus importante; c'eft de fçavoir fi la rime eft effentielle à la Poëfie Françoife. On n'avoit point enco→ re mis férieufement en doute avant le commencement de ce fiécle, fi

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la Rime eft tellement propre à no tre verfification, qu'elle ne puiffe s'en paffer abfolument, ou fi notre langue pourroit s'affranchir de cette gêne. Malherbe, Corneille & Racine avoient marché dans les fentiers du Parnaffe fur les traces de leurs Prédéceffeurs ; mais les coûtumes les plus anciennes & les maximes les plus conftantes, deviennent aux yeux de certains efprits entreprenans des abus enracinés & de vieilles erreurs. Une fecte de Novateurs s'eft élevée qui a entrepris de bannir entierement la rime de notre Poëfie & de faire des Vers en Profe. Les Chefs étoient diftingués par leurs talens. Leur nom feul fait leur éloge: M. de Fénélon, M. de la Mothe, & le dernier Editeur du Télemaque, fans parler des autres athletes qui font entrés dans cette Lice mirent en oeuvre tout ce que le raisonnement a de plus spé cieux; l'éloquence de plus at trayant, & l'exemple de plus féduifant pour introduire cette réforme,

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