Imágenes de páginas
PDF
EPUB

tement occupée d'un objet, recueillie en elle-même, pénétrée des idées & des fentimens qu'elle éprouve, s'éleve au grand & au fublime:pour atteindre à la hauteur de ce même objet, elle cherche les penfées & les expreffions les plus nobles, accumule les figures les plus hardies, multiplie les comparaifons & les images les plus juftes, rapproche & faifit des rapports éloignés, parcourt la nature & en épuife les richeffes, pour les ramener à fon fujet, & l'embellir. Je dis pour ramener à fon fujet ; car il eft permis de s'en écarter quelquefois, pourvû que ces écarts ne foient point choquans, que ces digreffions ne foient pas longues, & que le Poëte fçache se pofféder en maîtrisant son imagination par le fecours d'un jugement raffis. C'eft en cela que confifte le défordre également éloigné de la confufion de Pindare & de la marche géométrique de quelques Modernes. L'ordre, je le fçais, eft d'une utilité reconnue, c'est lui Tome I.

les

P

qui de diverfes parties qui fembloient n'avoir entr'elles aucun rap, port, forme un ensemble ou tout, par un lien commun, fe rapporte à une même fin, mais il ne doit pas trop fe manifefter; fi on le devine dès l'abord, il ne manque pas de rebuter par fa féchereffe & fa monotonie. Des vérités philofophiques froidement analifées, réduites en principes & en conféquences, de belles idées exactement déduites les unes des autres, ne forment qu'un enchaînement de penfées qui peuvent convaincre l'efprit. Une Ode doit l'étonner & l'échauffer, le faire voler de merveille en merveille, & non pas le traîner pefamment fur des objets méfurés au même niveau. Ce n'eft pas à dire pour cela qu'il foit permis aux Modernes d'imiter Pindare dans ces longues & fréquentes excurfions, que l'ingratitude de fa matiere le forçoit malgré lui de faire, ni d'introduire dans une Ode toutes les penfées qui leur viendroient au hazard, fans choix

& fans rapport. Je pense seulement que ce n'eft point assez d'affranchir la Poëfie Lirique des tranfitions grammaticales & gênantes qui en rallentiffent le feu; mais encore qu'on peut & qu'on doit même donner carriere à fon imagination, la laiffer voltiger fur des objets qui n'ayent point un rapport fi direct avec l'objet principal, pourvû qu'on foit fage jufques dans ces emportemens, & que la liberté qu'on fe permet à cet égard ne dégénere point en licence.

9

Ronfard a fait des livres entiers d'Odes qu'on ne lit plus. Il avoit lû les Grecs & fur-tout Pindare dont il imite souvent l'obfcurité & quelquefois l'enthoufiafme; mais le défordre chez lui n'eft prefque jamais qu'une fougue d'idées, une ardeur impétueufe de parcourir fans fuite & fans régle divers objets qu'on eft étonné de rencontrer enfemble. D'ailleurs fa Poëfie confifte moins à dire de grandes chofes, qu'à énoncer les plus petites avec de grands mots moitié

Grecs, moitié François, & par cette fçavante bigarrure, il devient quelquefois burlesque. Il fe dit fouvent infpiré, mais on fent qu'il ne l'eft point, & qu'il a pris pour le génie de l'Ode, la paffion qu'il avoit d'imiter les Grecs.

Malherbe qui connut mieux le génie de notre langue & qui l'épura, a donné dans fes Odes Héroïques des exemples de cet enthoufiafme fage & mefuré, qui naît d'une imagination modérément échauffée & toujours maîtreffe d'elle-même. Son Ode au Roi Louis XIII. allant réduire les Rochelois en peut donner une jufte idée; afin de faire mieux connoître combien les excurfions brufques qu'il fait, ont de liaison avec fon fujet, il eft néceffaire de citer la piéce prefqu'en entier. Le Lecteur en fera trop fatisfait pour la trouver longue. De grandes idées, des expreffions nobles & naturelles, une audace finguliere dans la diftribution du fujet; voilà ce qui la caractérise. On y trouvera

quelques termes qui ne font plus en ufage, & que nous aurions pû rajeunir aisément; mais nous refpectons les originaux, & d'ailleurs ces légeres taches ne font pas capables de diminuer les beautés folides de l'ouvrage : fans préparer froidement le Lecteur à ce qu'il va dire, ainfi que le pratiquent la plus part des faifeurs d'Odes, le Poëte entre tout d'un coup en matiere:

Donc un nouveau labeur à tes armes s'apprête.

Prends ta foudre, Loüis, & va comme un

lion,

Porter le dernier coup à la derniere tête De la rébellion.

Fais cheoir en facrifice au Démon de la France,

Les fronts trop élevés de ces ames d'enfer, Et n'épargne contr'eux, pour notre déli

vrance,

Ni le feu ni le fer.

Affez de leurs complots l'infidele malice A nourri le defordre & la fédition.

« AnteriorContinuar »