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goût des pointes. Les Partisans du bon fens fe plaignent avec fondement qu'on ne les introduit que trop dans l'éloquence d'où elles ne tarderont pas à fe répandre dans la Poëfie,avec d'autant plus de licence que celle-ci qui demande plus d'imagination que l'autre,peut prétexter la néceffité de penfer hardiment & de produire du nouveau. Raifon illufoire & frivole, pour peu qu'on reconnoiffe qu'en Poëfie comme en Profe,la premiere,& la plus indifpenfable de toutes les régles eft, de ne jamais s'écarter de la nature & de préférer le folide au brillant. D'ailleurs croit-on qu'il n'en coute rien pour imaginer,pour réunir les pensées extraordinaires: c'eft un travail pénible; je n'en Veux d'autre preuve que ce Sonnet fur un miroir.

,

Miroir, peintre & portrait, qui donne & qui reçois,

Et qui porte en tous lieux avec toi mon image,

Qui peut tout exprimer excepté le langage;

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Et pour être animé r'a besoin que de voix. Tu peus feul me montrer, quand chez toi je me vois

Toutes mes paffions peintes fur mon visage: Tu fuis d'un pas égal mon humeur & mon

âge,

Et dans leur changement jamais ne te deçois.

Les mains d'un artifan au labeur obstinées, D'un pénible travail font en plufieurs an

nées

Un portrait qui ne peut reffembler qu'un inftant;

Mais toi, Peintre brillant, d'un art inimi

table,

Tu fais, fans nul effort, un ouvrage inconftant

Qui reffemble toujours, & n'eft jamais femblable.

Que de fubtilités ! & que de contention il a fallu fe donner pour les rapprocher! Rien n'eft moins naturel, fans parler des penfées fauffes qui s'y rencontrent; l'Art y eft trop marqué & prouve la difficulté de l'exécution. Un Ecrivain feroit-il jamais dédommagé de fes

peines, s'il ne s'appliquoit qu'à des compofitions fi guindées. Je n'ai prétendu parler ici que des pointes qui roulent fur la pensée; quant aux jeux de Mots, aux allufions triviales, il y a long-tems qu'on les a bannis de tout difcours férieux & de tout ouvrage fenfé; eut-il pour objet la plaifanterie qui deviendroit miférable, fi elle rouloit fur des équivoques & d'autres chofes femblables. Ce feroit dégrader la Poëfie & deshonorer fa raison que d'en faire usage.

2

Le Rondeau, né Gaulois, a la naiveté.

Le Rondeau eft un petit Poëme Du Ron compofé de treize Vers & de deux deau. refrains formés du premier mot ou de l'hémistiche du premier Vers. Il ne roule que fur des rimes redoublées, qui fe partagent de maniere, que s'il y a huit rimes mafculines, il n'y en a que cinq féminines & réciproquement: mais quelques rimes qui y dominent, & de quelque maniere qu'on les dif

pofe, il fe rencontre en quelqu'endroit trois rimes mafculines ou féminines de fuite, ce qui forme une exception à la regle générale de l'arrangement des rimes dans notre Poëfie. Après les cinq premiers Vers du Rondeau, on marque un repos ou un fens complet; mais fans repéter le mot ou refrain qu'on ramene feulement après le huitiéme & le treiziéme Vers. L'Art confifte à faifir deux applications heureufes & naturelles,mais différentes decemot.Ceci regarde uniquement le Rondeau fimple; car il en eft d'une autre efpéce qu'on nomme Rondeaux redoublez. On trouve des Rondeaux admirables dans Marot, la Bruyere en cite deux qui n'ont d'autre défaut (fi c'en eft un) que d'avoir quatorze Vers. Madame des Houlieres & Rouffeau en ont auffi fait de fort bons. Celui qu'on va lire eft de Voiture contre un Frondeur:

Poël, de En bon François, politique & dévot,
Vous difcourez plus grave qu'un Magot

Voiture.

pag. 85.

Votre chagrin de tout se formalife;
Et l'on diroit que la France & l'Eglife
Tournent fur vous comme fur leur pivot.
A tout propos vous faites le bigot,
Pleurant nos maux avecque maint fan-

glot,

Et votre cœur Espagnol fe déguise
En bon François.

Laiffés l'Etat & n'en dites plus mot,
Il est pourvû d'un très bon matelot;
Car s'il vous faut parler avec franchise,
Quoique fur-tout votre efprit fubtilise,
On vous connoit, & vous n'êtes qu'un fot
En bon François.

Le Rondeau redoublé confifte en cinq Quatrains ; à la fin de chacun defquels on repete un Vers du premier Quatrain. Ces fortes de piéces ne font plus guéres d'ufage, & d'ailleurs nous ne nous propofons pas d'expliquer les régles de leur méchanifme. Il ne faut pour les apprendre que le tems de les lire, & les exemples de ces morceaux, rares dans les Poëtes de nos jours, font extrêmement com

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