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Poëfie d'une defcription trop fleurie, & dans laquelle parmi de grands traits on rencontre des circonftances inutiles. Les plus grands Maîtres ne font pas exemts de ce défaut, & leur chute doit nous fervir de préfervatif, comme leurs beautés de modele. M. Racine dans la narration de la mort d'Hyppolite qui d'ailleurs eft plei→ ne de beautés, eft tombé, ce me femble, dans l'excès dont nous parlons ici. Qu'on fe mette à la place de Théramene, qu'on époufe les fentimens d'eftime & d'attachement dont il eft pénétré pour Hyppolite, qu'on fuppofe enfin que l'on va annoncer à un Pere la mort malheureufe de fon fils; eft - il croyable que dans un fujet fi inté→ reffant l'on s'amufe à relever descir conftances peu importantes, par les expreffions les plus fleuries? Qu'on décrive en peu de mots le départ du fils de Théfée, à la bonne heure, mais qu'eft-il befoin d'ajoûter que;

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Ses fuperbes Courfiers qu'on voyoit au

trefois

Phédre Acte V.

Pleins d'une ardeur fi noble obéir à sa voix, Scene 6. L'œil morne maintenant & la tête baiffée, Sembloient fe conformer à sa triste pensée.

Ne fuffifoit-il pas à Théramene de dire en parlant du monftre envoyé par Neptune.

L'Onde approche, se brife & vomit à nos Ibid.

yeux,

Parmi des flots d'écume, un monftre fu

rieux,

Sans ajouter cette longue defcription de la figure du Dragon:

Son front large eft armé de cornes menaçantes

Tout fon corps eft couvert d'écailles jau

niffantes,

Indomptable Taureau, Dragon impétueux
Sa croupe fe recourbe en replis tortueux.
Ses longs mugiffemens font trembler le ri-

vage,

Le ciel avec horreur voit ce monftre fau-
vage,

La terre s'en émeut, l'air en eft infecté,
Le flot qui l'aporta, recule épouvanté,.

Quand on retrancheroit ces huit Vers & les quatre précédens de cette narration, elle n'en feroit ni moins belle, ni moins touchante ; ce font donc des ornemens fuperflus, des hors d'oeuvre fi peu liés à la piéce principale qu'on pourroit, les en détacher fans qu'elle en fouffrit.

Quelquefois c'eft un mot qui gâte tout ce qui précéde ainfi Regnard fait dire à son joueur;

Tu peux me faire perdre, ô fortune enne

mie!

Mais me faire payer, morbleu, je t'en défie,

Jufques là tout eft vif, & l'on devine affez la raison de cette impuif fance, qu'étoit-il befoin d'ajoûter? Car je n'ai pas un fol. Ce der nier trait n'eft qu'une longueur.

Mais s'il ne faut rien dire de trop, il est bien effentiel auffi de ne point appauvrir fon fujet; ce qui peut venir de deux caufes différentes ou d'une aridité naturelle, & c'eft un mal incurable, ou d'une timide

circonfpection qui craignant d'approfondir un fujet ne fait que l'efHeurer, ce qu'on peut réparer foit en fe rempliffant mieux de la matiere que l'on traite, foit en ajoûtant de nouveaux coups de pinceau à ceux que l'on a déja donnés. Pour écrire avec fuccès en Poëfie, il faut ôter & fur-tout ne jamais prendre pour bon ce qui n'eft que médiocre; ne pas faire confifter l'excellence à être exemt de défaut, parce que c'en est un très-grand dans ce genre que de manquer de perfection. La féchereffe nait encore quelquefois du choix du fujet dont, après bien des travaux, on ne peut rien tirer, alors le parti le plus fage eft de l'abandonner comme une terre ingrate & brulée, fans s'opiniâtrer inutilement à chercher dans fon génie des ressources qu'on employeroit plus heureusement fur d'autres matieres.

De la

Il en eft des Vers comme de toutes les autres productions de l'art ; correc s'ils ne font pas d'abord nés heu-tion,

Art

Poët.

Chant I.

reufement, on a beau les retoucher enfuite, le vice de leur origine Jeur laiffe toujours quelque trace d'imperfection.

Un Vers étoit trop foible & vous le rendez dur.

La foibleffe dans les Vers vient ou d'un défaut de Génie, ou d'une précipitation à écrire fans choix & fans correction tout ce qui s'offre à l'efprit. D'ailleurs il faut juger de la force ou de la foibleffe des Vers, différemment felon les fujets que le Poëte fe propofe, ou proportionnellement aux différens genres de Poëfie. Le ftyle Marotique, par exem→ · ple, permet des expreffions & des tours de phrafes, qui pafferoient pour foibles & même pour ridicules dans une Ode. Le langage de la Tragédie doit être noble & majeftueux, cependant il comporte moins de pompe & d'élévation que celui de l'Epopée. Les ennemis de la rime la regardent comme une des principales caufes de

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