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Enflure

ge naturelle d'un ouvrage où tout eft ornement: mais puifque l'architecture nous a fourni une comparaison pour le ftyle orné, elle fervira encore à régler nos idées fur les deux défauts dont parle ici notre Auteur. Le portail de Saint Etienne du Mont eft chargé de colifichets : Tout à côté & fur la "même ligne, celui de Sainte Geneviève, eft d'une fimplicité barbare: comparez à l'un & à l'autre le frontifpice de l'Eglife de S. Roch. Dans une feul & même Edifice,oppofez la façade du Louvre bâtie fur les deffeins dePerrault, aux marbres fculptés qui enrichiffent les Colomnes des Tuilleries & dont l'éclat n'a pas duré vingt ans, & vous aurez des idées analogues au mérite des ouvrages ornés avec goût, & à la préférence qu'ils méritent fur ceux qui n'ayant qu'un vain éclat éblouiffent d'abord, & ne confervent pas long-tems l'admiration qu'ils avoient furprife.

& baffef- L'autre a peur de ramper, il fe perd dans

fe du fti

le.

la nue

Notre Poëte joint encore ici deux excès diamétralement oppofés, la baffeffe & l'enflure. Il en apporte en même-tems les causes. Ceux qui donnent dans le premier,s'excufent pour l'ordinaire en difant qu'ils ont voulu copier la nature, fans faire attention la Poëfie n'eft pas que une imitation féche de la nature toute feule,mais de la belle nature: comme elle ne doit point-prodiguer les ornemens, elle ne doit pas non plus en être avare, & les ménager fans raifon. Elle eft faite pour répandre les graces fur les objets, qui par eux mêmes n'en font point partagés tout dépend du choix & de l'application. Il en eft de la Poëfie comme de la Peinture. Or dans celle-ci dit un Maître de l'Art, ,, il y a un fecond vrai, dont l'ufa- Lettre ,,ge confifte à fuppléer dans cha- inférée ,, que fujet ce qu'il n'avoit pas, Cours ,, mais ce qu'il pouvoit avoir, & de pein que la nature a répandu dans quel-M, Piles, ques autres, & à réunir ainfi ce qu'elle divife prefque toujours. " Il doit donc y avoir auffi dans la

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dans le

ture de

Poëfie un fecond vrai, dont l'ufage confiste à adoucir ce qu'une imitation trop naïve auroit de choquant, à embellir ce qu'elle auroit de groffier, à rectifier ce qu'elle auroit de défectueux ; ainsi tout ce qui ne fçauroit être fufceptible de ce fecond vrai, ne produiroit que baffeffe en Poefie, & c'est ce qui rend, à mon sens, ridicule la comparaison qu'homere fait d'Ajax, foutenant prefque feul l'effort des Troyens auprès des Vaiffeaux des Grecs, avec l'opiniâtreté d'un âne qui ne veut pas fortir d'un champ où il eft harcelé de toutes parts à coups de pierres & de bâtons par une troupe d'Enfans. Quoique Madame Dacier allegue pour montrer l'estime qu'on faifoit des ânes dans l'Antiquité, je ne les vois cependant pas fort en honneur dans le camp des Grecs, où les Héros ne fe fervent que de chevaux. Mais fans vouloir condamner Homere par cette feule raison, il me femble que cette troupe d'Enfans armés de bâtons

& de pierres, à bien l'air d'un concours de poliffons, & fi je ne me trompe, les anciens, malgré leur fimplicité, dûrent trouver comme nous, dans cette comparaifon un vrai trop naif qui dégénére en baffeffe. Le Génie froid d'un Géometre se borneroit dans tout le cours d'un ouvrage à ce premier vrai. Il faut de l'Enthousiasme pour appliquer le fecond, & répandre par ce moyen de la vie & de la cha~ leur dans un ouvrage.

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L'Enflûre vient d'une caufe toute opposée: un Auteur tend au grand, au fublime, mais il n'a dans le coeur ni affez d'élévation de sentimens, ni dans l'efprit af fez de force pour y atteindre ; il en embraffe le fantôme : c'eft un pigmée qui fait des efforts gigantefques. Dans ces occafions l'ima gination va beaucoup au-delà du vrai, & les chofes qu'elle exagére n'ont qu'une vaine apparence de grandeur, On a reproché ce défaut à Brebeuf dans fa traduction de la Pharfale de Lucain: Mal

Pompée Act.

prem. Scene 1.

herbe n'en eft pas exemt: Corneille, ce génie accoûtumé à penfer des chofes fublimes, eft guindé dans plufieurs endroits. Que doit-on penfer par exemple de ce commencement de fa Tragédie de Pompée.

Le deftin fe déclare, & nous venons d'en-
tendre

Ce qu'il a réfolu du beau-pere & du gendre.
Quand les Dieux étonnés fembloient se

partager

Pharfale à décidé ce qu'ils n'ofoient juger.
Ses fleuves teints de fang & rendus plus

rapides

Par le débordement de tant de Parricides "
Cet horrible débris d'aigles, d'armes, de

chars,

Sur fes champs empestés confufément épars, Ces montagnes de morts privés d'honneurs fuprêmes,

Que la nature force à fe venger eux mêmes, Et dont les troncs pourris exhalent dans les vents

Dequoi faire la guerre au refte des vivans.

1

C'est tout ce qu'auroit pû dire un témoin oculaire de la Bataille

de

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