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convaincre; Marot avoit été volé
par fon Valet qui étoit, dit-il :

Gourmand, ivrogne, & affeuré menteur,
Pipeur, larron, jureur, blafphemateur,
Sentant la hart de cent pas à la ronde,
Au demeurant le meilleur fils du monde.

Il raconte enfuite agréablement au Roi comment ce fripon lui avoit enlevé fon argent, fes habits & fon cheval, & ajoûtant qu'il ne veut rien demander à ce Prince, il continue de la forte:

Epitre au Roi

pour avoir été volé.

Je ne dis pas fi voulez rien prêter
Que ne le prenne. Il n'eft point de prêteur Ibid,
S'il veut prêter qui ne faffe un débteur.
Et fçavez-vous, Sire, comment je paye,
Nul ne le fçait, fi premier ne l'effaye,
Vous me devrez, fi je puis, de rétour;
Et vous ferai encore un bon tour
A celle fin qu'il n'y ait faute nulle,
Je yous ferai un belle cedule,

A vous payer, fans ufure, il s'entend, 1
Quand on verra tout le monde content
payer ce fera

Ou fi voulez à

Quand vôtre los & renom ceffera.

La manière dont il termine fon

Epitre n'a pas moins de délicateffe, que ce que vous venez de lire, Ibid. Roi, amoureux des neuf Muses, Roi en qui font leurs fciences infuses, Roi plus que Mars d'honneurs environné, Roi, le plus Roi qui fut one couronné, Dieu tout-puiffant te doint pour t'eftrenner Les quatre coins du monde à gouverner.

Cette aimable fimplicité eft bien au-deffus des preftiges de l'Art & des vaines fubtilités du bel efprit, Depuis deux fiécles,à peine compte t'on trois ou quatre perfonnes qui ayent excellé dans ce genre, tant il eft difficile d'y réuffir: l'exemple de la Fontaine & de Rousseau montre cependant qu'il n'est point inimitable; on en jugera mieux par la comparaifon. Le premier dans le conte intitulé Belphegor décrit de la forte ce que c'eft qu'un Intendant ou un Maître d'Hôtel; Belpheg. Et j'oubliois qu'il eut un Intendant,

Un Intendant? Qu'est ce que cette chofe?
Je définis cet être un animal,

Qui comme on dit, fçait pêfcher en eau
trouble,

Et plus le bien de son Maître va mal,
Plus le fien croît, plus fon profit redouble;
Tant qu'aifement lui-même acheteroit
Ce qui de net au Seigneur refteroit:
Dont par raison bien & düement déduite,
On pourroit voir chaque chofe réduite
En fon Etat, s'il arrivoit qu'un jour
L'autre devint l'Intendant à fon tour;
Car regagnant ce qu'il eut étant Maître,
Ils reprendroient tous deux leur premier
être.

Je m'abftiens de faire des réfléxions fur la reffemblance parfaite de ce ftyle avec celui de Marot pour citer un Poëte plus moderne héritier des graces de ces deux prédéceffeurs. C'eft M. Rouffeau connu par fes malheurs autant que par fon génie. Voici comme il commence fon Epitre à Marot.

'Ami Marot l'honneur de mon Pupitre, Epitre 3.
Mon premier Maître, acceptez cette Epitre
Que vous écrit un humble nourriffon
Qui fur Parnaffe a pris votre écuffon,
Et qui ja dis en maint genres d'éfcrime,

Vint chez vous feul étudier la rime.
Par vous en France, Epitres, Triolets,
Rondeaux, Chanfons, Ballades, Virelais
Gente Epigramme, & plaifante Satire
Ont pris naiffance, en forte qu'on peut dire
De Promethée hommes font émanés,
Et de Marot joyeux contes font nés.

Il eft fâcheux que ces trois Poëtes ayent fouillé par des obfcenités une plume qu'ils fembloient tenir de la main des graces: mais en condamnant l'abus qu'ils ont fait de leurs talens; il faut convenir que perfonne ne les a égalé en fineffe & en légéreté, fi ce n'est peut-être Mr. de Voltaire dans quelques-unes de ces piéces fugitives.

Des perfonnes d'un mérite reconnu n'ont pas difcerné précifément, comme nous l'avons déja vû, le style Marotique du genre burlesque. On en prodigue encore tous les jours le nom à des ouvrages qui ne le méritent nullement. Des Auteurs s'imaginent avoir

'écrit dans le goût de Marot, lorfqu'ils ont fait des Vers de dix fillabes parfemés de quelques expreffions Gauloifes qui ne font plus d'ufage dans la langue, sous prétexte qu'elles fe rencontrent dans Marot lui-même, dans S. Gelais & quelques autres Poëtes de ce tems-là, mais ils ne font pas attention. 1°. Que ce langage furanné ne fçauroit par lui-même prêter des graces au ftyle, & qu'elles dépendent uniquement de l'ufage heureux & de l'application qu'en fait le Poëte. 2°. Que Marot parloit très-purement pour fon fiécle & qu'il n'a point employé d'expreffions vieilles, rélativement au tems où il écrivoit, que par conféquent fi fes Poëfies ont charmé la Cour de François I. ce n'eft pas par cet endroit, mais par leur tour aifé & naturel. 3°. Qu'un méchanifme arbitraire, une forme extérieure ne font point ce qui caractérife un genre de Poëfie, & qu'elle doit être marquée par une forte de fceau dépendant du fonds même

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