Imágenes de páginas
PDF
EPUB

des fujets qu'elle embraffe, ou de la maniere dont elle les traite. De ces trois Obfervations dont on ne peut contefter la vérité, il refulte que l'éloquence du ftyle Marotique ne dépend ni de la ftructure des Vers, ni du vieux jargon mêlé fouvent avec affectation à la langue ordinaire, mais de la naïveté du génie, & de l'art d'affortir des idées riantes avec fimplicité. En effet, dans l'exemple que j'ai cité de la Fontaine, il n'y a pas une expreffion qui ne foit aujourd'hui fort en ufage, & fi Rouffeau femble copier de plus près le langage & les tours de phrafes de Marot c'eft dans une piéce qu'il feint d'écrire à ce Poëte; mais dans fes allégories, & dans la plupart de fes Epitres, il parle un langage très-pur & très-correct. Je ne nie pas cependant que le vieux ftyle n'ait fon agrément, quand on fçait l'employer à propos: notre langue en fe poliffant s'eft appauvrie, à peu près comme certains corps que l'on ne rend Diaphanes qu'en

les affoibliffant : elle a perdu beaucoup d'expreffions énergiques fans en acquérir de plus fortes ou de plus nouvelles : c'est la faire rentrer dans fon domaine que de lui rendre ces mots, pourvû qu'on le faffe avec fineffe & qu'on les adopte de nouveau, parce qu'ils font bons, & non parce qu'ils font antiques. L'élégance d'un bâtiment dépend de l'enfemble & de la diftribution générale des parties & non de la nature de chacune des pierres en particulier dont il eft compofé; de même c'eft dans l'aifance & dans la facilité que confiftent les agrémens du ftyle Marotique, & non dans tel ou tel mot renouvellé des anciens. Des idées fimples fans être commu→ nes, naïves fans être basses des tours unis fans ornement, fans emphase, du feu fans hardieffe une imitation conftante de la nature, & le grand art de déguifer l'art même; voilà ce qui fait le fonds de ce genre d'écrire, & ce qui caufe en même-tems la difficul

té d'y réuffir; les hommes n'ayant que trop de penchant pour les grandes idées, les ornemens recherchés, les expreffions pompeufes & figurées qui furprennent l'efprit en remuant l'imagination, au lieu qu'ils fe trouvent arrêtés dès les premiers pas, lorfqu'il s'agit de ne prêter au bon fens qu'une parure légere, propre à l'embellir fans le mafquer; c'eft le fruit du génie que la nature partage, comme il lui plaît. Tel décrit noblement les Exploits des Héros qui échouroit dans le récit d'une avanture ordinaire. Corneille qui faifoit parler les Grecs & les Romains avec tant de nobleffe, n'auroit pas fait parler les animaux avec la naïveté que leur a prêté la Fontaine; & la main de le Brun qui réuffiffoit admirablement à peindre des combats & des triomphes, auroit peut être manqué de légéreté pour crayonner un Païfage dans le goût de Taifniere, ou une danse champêtre & galante dans celui de Watteau: tant il est vrai que plus on

s'écarte de la fimplicité de la nature, moins il eft aifé de s'en approcher, quoiqu'on fe flatte d'y revenir aisément lorsqu'on le voudra. L'expérience eft feule capable de diffiper cette erreur.

lé.

Les liaisons de nos Sçavans avec Du ftyle ceux d'Angleterre, nous ont mis pou depuis quelques années à portée de connoître leurs meilleurs Poëtes, & l'on ne peut difconvenir que ceux dont on nous a donné des traductions, tels que Pope & Milton, ne foient remplies d'idées fortes & grandes, exprimées avec énergie. Ce qui vient en partie du caractere de la Nation Angloife, & en partie du génie de la langue plus hardie, & plus concife que la nôtre. Il n'eft pas douteux, par exemple, que les Épîtres dé Po pe ne foient écrites avec infiniment plus de force que celles de Boileau. A peine dans celles-ci trouve t-on une penfée renfermée dans l'efpace de chaque Vers; dans le Poête Anglois, chaque hémistiche forme pour l'ordinaire une pensée.

Mr. de Un homme célébre, Admirateur Voltaire, peut-être trop paffionné de nos voifins a tenté de les imiter. (Je ne décide point s'il a réuffi) fon exem→ ple eft devenu contagieux & Fon s'eft égaré en marchant fur fes tra◄ ces. On s'eft livré fans referve au défir d'écrire avec force, dans une langue dont l'exactitude & l'élégance font les principaux caracteres, fans fonger que les hardieffes qui font des beautés dans un Pays, produi fent dans un autre des défauts choquants. En effet, ce qu'on admire dans le ftyle original de Milton, deviendroit monftrucux s'il avoit en françois la même précision. La Poëfie ne peint les idées acceffoires que par des Epithetes; or fi les Epithetes fe trouvent en grand nombre elles caufent de l'enflure dans le style, & n'offrent fouvent qu'un pompeux étalage de mots fonores. Les termes empoulés font à la Poëfie, ce que l'hydropifie eft aux corps, elles les énerve en les enflant, parce qu'il eft rare que ces expreffions fortes ne péchen

« AnteriorContinuar »