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idées fur des matiéres qu'elles n'entendent fouvent pas ? La plûpart du tems, ce n'est pas cet homme éclairé & judicieux, capable de fentir & de faire fentir aux autres les beautés & les défauts d'un ouvrage, ce n'eft pas lui qui prononce, ou s'il décide, c'eft avec modeftie, bienféance & prefqu'en tremblant. Il n'en eft pas ainfi d'un jeune homme idolâtre de fa figure, & qui en impofe aux femmes des airs par & par un jargon à la mode, avec une raillerie, un trait fatirique, une allusion maligne il décide fouverainement du fort d'un Poëme ou d'une piéce de Théâtre, il fixe le mérite des Auteurs, & leur diftribuë leurs places fur le Parnaffe. Incapable de difcuffion & de ren

dre raifon de fes prétendus oracles, il entraine ainfi par préjugé les perfonnes qui ne cherchent qu'à fe difpenfer d'un examen toujours pénible, mais qui font néanmoins flattées du plaifir d'en porter leur jugement, quels qu'en foient les motifs & les fondemens.

Ce défaut eft fi commun parmi les jeunes gens de nos jours, que c'eft un bon office à leur rendre que de leur en faire fentir le ridicule. Quelle différence en effet entre ce triom phe momentané, entre la fauffe gloire qu'ils viennent d'acquerir dans ce cercle, où fans principes & fans contradicteurs ils ont fait les Ariftarques & les Zoiles, & la honte dont ils feroient infailliblement couverts, s'ils ofoient débiter les mê

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mes maximes dans ces affemblées où des hommes d'un goût fûr & délicat, cherchent à s'éclairer mutuellement par des réflexions folides & fenfées où l'on difcute, où l'on examine, où l'on prononce rarement, & toujours avec équité, la raifon y porte le parce que flambeau devant la critique. Quelle humiliation pour eux que ce contrafte! quelle confufion d'entendre condamner par principes les mêmes endroits qu'ils avoient loué fans jugement, & louer avec raison, ce qu'ils critiquoient fans fujet! mon deffein n'est point ici de les infulter, mais s'il se peut de les éclairer & de les inftruire. Laiffons - les réfléchir un moment fur la conduite de ces hommes fenfés avec lefquels

je les fuppofe. Ils les entendront s'exprimer avec juftesse & précision fur le mérite des ouvrages d'efprit. Ils y verront briller un grand difcernement, un jugement fain & lumineux. Ils ne trouveront pointde décisions hazardées ni fans principes folides. S'ils veulent s'en convaincre encore davantage, qu'ils paffent à la lecture des Critiques qui fe font propofé d'apprécier le mérite des autres Ecrivains, ils reconnoîtront que cette partie de la littérature exige au moins une connoiffance générale des principes & des regles de l'Art. Vouloir juger des ouvrages d'efprit, fans avoir acquis ces lumiéres, c'eft voguer fans bouffolle fur une mer dont on ignore les écueils. Ils ambitionnent

cependant cette facilité de ju ger comme un de ces talens qui fervent à chaffer l'ennui, & à fe faire honneur dans la fociété. La difficulté du travail les épous vante,tout ce qui a l'air d'étude les rébute; en un mot ils s'imaginent qu'il en coûte trop pour s'orner l'efprit.

J'avoue que s'il falloit débroüiller les principes confus d'un art encore naiffant, former des regles à force de réflexions, confulter & comparer ensemble un grand nombre d'Auteurs, enfin s'ouvrir des routes nouvelles dans un païs inconnu, on devroit être decouragé à la veuë des travaux à entreprendre & des obftacles à furmonter: mais dans des arts bornés tels que l'Eloquence & la Poëfie, tout eft découvert,

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