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I

5. De la fortie entiére de l'œil hors de l'orbite.

CHAPITRE X.

L arrive auffi quelques-fois que par un coup du bout d'un bâton, d'une bale à jouer à la longue paume, d'une pierre, ou d'autres inftruments femblables pouffez violemment fur l'œil, le globe n'est pas feulement contus & meurtri, & les parties intérieures brifées & confouduës; mais auffi les membranes communes, les muscles & les autres attaches de l'œil font déchirées & brisées, en telle forte que le globe de l'œil fe fépare & se jette entiérement dehors, & quelques-fois tient en. core à quelques fibres nerveuses ou charnües, ou

membraneufes.

,

Quand le globe de l'œil eft ainfi jetté hors de l'or bite, quoi qu'il tienne encore à quelques nerfs, mufcles, ou membranes, il ne faut pas croire qu'étant remis & contenu dans l'orbite, il puiffe s'y unir dérechef & recevoir de la nourriture, puifqu'il n'y reste plus de çanaux entiers & fuffifants pour lui en porter. Quelques Auteurs cependant en rapportent quelques obfervations, entre lesquelles je ne puis m'empêcher d'en examiner une de Jofeph Coüillard: c'est là 17. de fon traité des principales opérations de Chirurgie, conçeüe

en ces termes.

Le Sieur Guillaume Vincent Orfévre de cette ville "du Montelimard, reçeut à l'œil un coup de bale de sc raquette, fi fort, qu'il lui fépara toute la circonfé

"rence de l'œil de fon orbite. Je fus appellé pour le "traiter, & trouvay un fien Cotifin ayant les ciseaux « à la main, pour couper les nerfs, par le moyen defquels il reftoit attache: je m'oppofay à cette action, « & ayant remis l'œil à fa place, le plus proprement " & promptement qu'il me fut poffible, je pourfuivis « la cure, & mes foins reüffirent si bien, qu'il guérit "fans que fa vüe ait été aucunement diminuée.

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Quand on ne rapporte des obfervations de pratique que par oftentation, on groffit pour l'ordinaire les objets plus qu'ils ne font, & fouvent par les circonstances mêmes de ces obfervations, on en fait découvrir la fauffeté. C'est ainsi que cet Auteur en a agi: car quand il dit avoir remis à fa place & guéri un œil féparé dans toute la circonférence de fon orbite, & dont on vouloit couper les nerfs par le moyen defquels il restoit attaché, il avance une chofe fauffe, parcequ'un cil ne peut être en cet état, fans que la conjonctive ne foit entiérement rompüe & féparées, & fans que les vaiffeaux qui fuivent cette membrane & qui portent noufriture à la superficie antérieure de l'œil ne foient pareillement rompus, de même que les muscles & les vaisseaux qui les abbreuves. Et comme ces parties ainli divifées fe retirent vers leur principe & changent de fituation, il s'enfuit que chaque parcelle ne peut fe rencontrer avec fa femblable, quoi qu'on remette l'œil dans l'orbite : & quand cela fe pourroit, il ne fe feroit point d'union; parceque pour qu'une partie confiderablement diviféc fe reüniffe, il faut que les deux extremitées de cette même partie reçoivent du fang pour

la

fournir chacune reciproquement le fuc nourricier neceffaire pour leur reunion; or les extremitées des parties divifées qui reftent du côté du globe de l'œil n'en peuvent recevoir, puifque les vaiffeaux qui le doivent porter de ce côté-là font rompus; elles ne peuvent donc fournir de fuc nourricier, & par confequent il ne fe peut faire d'union.

Dailleurs quand même on fuppoferoit que le rameau de la carotide qui accompagne le nerf optique & qui fournit des artéres à la cornée & aux parties intérieures du globe, pourroit ne pas être rompu, & qu'ainfi il fourniroit non-feulement du fang à la cornée & aux parties intérieures du globe, mais auffi aux extremitées des parties divifées qui restent du côté du globe je répondrois que quand cela feroit, il pourroit bien continuer quelque tems à fournir du fang à la cornée & aux parties intérieures du globe; mais non pas aux parties divifées qui reftent attachées du côté du globe; parceque les artéres qui fe jettent dans la cornée, ou elles finiffent entre fes pellicules, ou elles les pénétrent & entrent dans le globe, fans qu'il s'en réfléchiffe aucuns rameaux aux muscles & membranes communes de l'œil.

De plus le globe de l'œil dans cet état, quand il recevroit encore du fang par le rameau de la carotide qui accompagne le nerf optique, il ne pourroit pas pour cela fubfifter long-tems en vie, parceque pour qu'un membre conserve fa vie, il faut qu'il demeure uni dans La plus grande partie au tout dont il fait partic; & quand il en eft tant feparé qu'il ne tient plus au tout

que par quelque parcelle, quand même en cet endroit il fe trouverroit des vaiffeaux pour l'abreuver de sang, & des nerfs pour lui fournir des efprits animaux, il tomberoit en pourriture & mortification; parceque ces vaifseaux ne se distribuants point dans toutes les particules qui compofent ce membre, il ne pourroit recevoir affez de fang pour vivre d'une vie commune avec le tout.

Ajoutez à cela, qu'un membre ainfi féparé est bientôt pénétré de l'air extérieur qui lui fait perdre fa jufte température, d'où s'enfuit la coagulation du fang, le deffaut de fa circulation, & enfin la mortification du membre: fans parler des autres défordres qui fuivent les dilacérations, contufions & autres efpeces de folutions dont un tel membre fe trouve affecté.

Une autre chose abfurde qu'avance cet Auteur, c'eft de dire que ce malade guérit fans que la vüe ait été aucunement diminuée. Si cet œil eut été dans l'état qu'il le décrit, fuppofé qu'il eut pû fe reünir, la vüe auroit été entiérement perquë: premiérement parceque le nerf optique n'auroit pû souffrir une si grande violence fans que fa substance moëlleuse eut été def-rangée & confonduë, & qu'ainfi le paffage des efprits n'eût été entiérement intercepté : & en fecond lieu parcequ'un tel coup n'auroit pû féparer entiérement l'œil de la circonférence de l'orbite, fans caufer en même tems de la confusion dans les parties intérieures du globe, quand même la cornée auroit refifté au coup fans fe rompre. Voila ceque les circonftances de cette obfervation font connoitre de faux, & voici cequelles peuvent marquer de vrai.

La bale avoit apparemment donné en biaisant fur l'orbite du côté du petit angle, ou les os qui forment ce bord, fe terminent en une crête fort aiguë & tranchante; ainfi la conjonctive & les autres parties qui fe trouvent entre la bale & ce bord fe rompirent, & l'œil se trouva de ce côté-là féparé du bord de l'orbite. Cette féparation jointe à l'échimofe qui devroit fuivre ce coup, en étoit assez à un homme peu connoiffeur pour lui faire croire que c'étoit un œil perdu & qu'il le falloit ôter: mais nôtre Auteur plus avifé, s'y oppofa, & effectivement il le guérit, rien ne s'oppofant à-la reünion, comme on le peut juger par ce que j'ay dit ci-dessus. La vie ne fut point diminuée, parceque le globe de l'œil ne fut point contus, ou s'il le fut, ce fut fi legerement qu'aucune partie intérieure ne fut ni dilacerée, ni des-rangée.

Comme il fe trouve un grand nombre de Chirur giens du caractere de cet Auteur, qui pour s'attirer de la réputation, ne craignent point d'outrer la verité, en avançant des cures impoffibles qu'ils fe ventent d'avoir faites? J'ay bien voulu examiner cette observation, pour faire connoître qu'il ne faut pas recevoir indifferemment toutes les hiftoires ou obfervations de pratique pour s'en faire des reigles, fans auparavant examiner fi elles font conformes à la raifon & à l'expérience. Je reviens à mon fujet & je dis, que puisqu'il est impoffible qu'un œil féparé de l'orbite, comme je l'ay fuppofé, puiffe fe reünir, il faut couper les foibles attaches qui reftent & le féparer entierement comme un membre inutile, puis remplir l'orbite De charpy Sec,

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