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M. de Belloy avoit eu plusieurs freres & fœurs, dont il ne refte plus que Marie-Victoire Buirette, femme de M. Belamy Doradour, Receveur des Tailles à Brioude en Auvergne.

Ces détails fur l'origine & fur la famille 'd'un homme qui n'a dû qu'à lui seul toute sa renommée, font fort indifférens fans doute; nous ne les rapportons que parce qu'il s'eft répandu de faux bruits fur l'origine de M. de Belloy, & que la vérité mérite d'être rétablie dans fes droits, même les moins importans.

Si le hafard de la naissance n'eft rien, fi le bienfait de l'éducation est tout, fi la véritable patrie eft, non le lieu natal, mais celui où l'on a penfé, où l'on a aimé pour la premiere fois, où les premiers objets de nos affections ont développé notre ame, Paris, où M. de Belloy fut amené à l'âge de cinq ans, fut fa patrie, & cet oncle Avocat, dont nous avons parlé, fut fon pere. Celui qui l'étoit par la nature, ayant été appelé à Paris par quelques affaires domeftiques, y mourut, abandonnant à ce généreux frere le foin de guider l'enfance de fon fils, âgé alors d'environ fix ans.

C'étoit un devoir dont il fe chargeoit toujours avec joie, & qu'il remplifsfoit avec zèle à l'égard de tous fes parens orphelins & fans fortune; il en ufoit de même à

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l'égard des parens de fa femme. Sa maifon étoit l'afyle commun des deux familles. Le fouvenir de cette bienfaisance eft prefque le feul héritage qu'il ait laiffé à fes propres enfans ils en jouiffent avec une fatisfaction noble & pure; & ce fentiment, préférable à la fortune qu'ils pouvoient espérer, attefte l'ufage qu'ils fauroient en faire.

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M. de Belloy fit fes études au Collège Mazarin, avec cette distinction qui promet des fuccès dans tous les genres. N'en croyons point ceux qui pourroient être intéreffés à foutenir que ces premières difpofitions ont

peu

d'influence fur le cours de la vie, & font un figne équivoque de talent. La raison & les exemples font également contr'eux; les fuccès prouvent le talent & le nourriffent; les triomphes amènent les triomphes; les couronnes des Académies fuivent celles des Univerfités; & ceux qui, long-temps vainqueurs dans ces combats littéraires, en font devenus les meilleurs juges, s'élevoient autrefois parmi leurs compagnons d'étude, comme ils s'élèvent aujourd'hui parmi les Chefs de la Littérature.

M. de Belloy n'avoit pas eu befoin du puiffant encouragement qu'il vit naître pour fes fucceffeurs: il venoit d'achever le cours de ces premieres études qui du moins apprennent à étudier, lorfque l'établiffement des prix

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publics dans l'Université vint y faire une révolution heureuse, exciter l'émulation, ranimer dans leur fource l'amour des Lettres, le goût de l'Éloquence & de la Poéfie. Alors les intérêts & les vues s'agrandirent à ces petits triomphes obfcurs, renfermés dans l'ombre d'un Collége, remportés fans peine & fans gloire fur des adverfaires connus & dont les forces étoient mefurées fuccédoient des triomphes d'un tout autre éclat. Le fecret des talens naiffans alloit être révélé ; les vainqueurs couronnés par le Chef du Sénat fous les yeux de ce Corps augufte, alloient être annoncés à la Nation comme fa ressource & fon efpérance. On avoit à foutenir & fa gloire & celle de fes Maîtres, & celle de la maifon où l'on étoit inftruit; on avoit à combattre des rivaux plus nombreux, des rivaux étrangers, inconnus & dès-lors plus redoutables; il falloit déployer toutes ses forces & en acquérir de nouvelles ; la victoire devenoit plus brillante, plus glorieuse, & ce qui vaut encore mieux, plus incertaine & plus difficile. M. de Belloy regretta toujours. que cet établiffement n'eût pas exifté de fon temps, & que fes premières années euffent été perdues pour la gloire.

Le moment où l'on quitte le Collége, eft celui qui, par le choix d'un état, va décider

du fort de la vie. Heureux celui à qui des parens juftes & fages abandonnent ce choix! plus heureux celui qui, guidé par leur expérience, par leur amour, par l'étude approfondie qu'ils ont faite de fes goûts & de fes difpofitions, embraffe un état qu'il aime & auquel il eft propre ! Il faut fervir la patrie, c'eft le devoir de tout citoyen: il faut la fervir le mieux qu'il eft poffible, c'est le devoir de tout être intelligent ; & c'eft pour cela qu'il faut choifir librement la manière de la fervir. On ne fait bien que ce qu'on aime à faire; on n'eft véritablement utile que quand il eft agréable de l'être. Le grand fecret, pour que l'Etat fût parfaitement fervi, feroit que tout homme sût fe connoître, & que le Gouvernement les connût tous.

Parmi les profeffions libérales auxquelles l'éducation ordinaire nous difpofe, il en eft une à laquelle les parens ne destinent jamais; c'eft celle d'homme de Lettres: on ne peut les en blâmer; elle eft trop étrangère à la fortune; on craint d'ailleurs avec raison qu'elle ne ferve fouvent de prétexte à la paresse, & de voile à l'inutilité. Mais dans quelle profeffion, réputée utile, M. de Belloy eût il pu fervir fon pays, comme il l'a fait par le fiége de Calais,& par fes autres Pièces patriotiques? Quelle autre profeffion que celle

d'homme de Lettres, donne un tel ascendant fur les hommes, une telle influence fur les opinions & fur les moeurs? Eft-ce comme Juge ou comme Ecrivain que Montefquieu a été le plus utile aux hommes ? Parens! apprenez, par ces exemples & par tant d'autres, à ne point opposer vos petites vûes d'ambition & d'intérêt aux grands deffeins de la nature; apprenez à ne pas étouffer les talens en les détournant de leur objet; fachez même que vous le tenteriez en vain, que l'impulfion puiffante du génie triomphera toujours de vos foibles efforts. N'avez-vous pas envié aux Lettres, les Corneille, les Boileau, les Molière? Tous les hommes de génie dans les Lettres l'ont été malgré vous; tous ceux qui les ont fuivis de près ou de loin, font entrés malgré vous dans cette carrière; ce font autant de déferteurs du Barreau ou des Ecoles de Médecine.

Elevons cependant nos idées jusqu'à l'intérêt public. Ce qu'on appelle fervir la patrie dans les autres profeffions, n'eft toujours que fervir quelques particuliers: l'homme de Lettres fert l'humanité entière, il fert & fes contemporains & la poftérité. Que fi les hommes fe trompent dans leur vocation, voyez de quel côté cette erreur tire le plus à conféquence; comparez, relativement à la fociété,

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