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l'inconvénient d'être un Ecrivain obfcur & fans fuccès, à celui d'être un Médecin fans science ou fans bonheur, un Avocat fans talens, un Prêtre fans vertu & fans charité, un Juge fans lumières & fans intégrité. L'homme de Lettres eft utile au monde, ou il n'eft rien. S'il s'égare, comme rien ne reste que ce qui eft raisonnable, utile & vrai, il ne fait de tort réel qu'à lui-même. L'envie qui veut nuire à tout ce qui s'élève, le fanatisme qui veut perfécuter, le defpotifme qui craint ces fentimens libres & vertueux que le génie inspire, ont accufé les Lettres de danger : M. de Belloy en a montré l'utilité.

Il leur avoit fait les plus grands facrifices; les uns n'étoient que généreux, ils ne lui coûterent rien; les autres étoient douloureux, & empoifonnèrent fa vie.,

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Le parent qui régloit fon fort & qui en avoit acquis le droit par fes bienfaits, l'avoit destiné au Barreau, fans confulter son goût ni le caractère de fes talens: ébloui de la dignité d'une profeffion qu'il exerçoit fi dignement lui-même, il crut que tous les talens devoient y être confacrés; fes volontés furent une loi fuprême. Cet homme respectable étoit févère & abfolu: la juftice que nous avons rendue à fon caractère bienfaifant, nous autorife à cet aveu que la vérité exige. M. de

Belloy fit ce que fait d'abord en pareil cas tout cœur bien né; il obéit & fe facrifia.

Il fe partageoit en fecret entre les fonctions qu'on lui impofoit & les Lettres qu'il aimoit: mais fon bienfaiteur, qui va ceffer de l'être, ne vouloit point de partage, & le Barreau n'en permet guère.

Le moment où l'on acquiert un ami, est une époque dans la vie : ce fut alors que M. de Belloy connut l'ami que le Ciel lui destinoit, & que nous diftinguerons par ce seul titre car tout le monde a des amis; mais bien peu de gens ont un ami.

Le hazard les avoit jetés tous deux dans la même carrière. Le matin ils alloient entendre au Barreau ces Maîtres de l'Eloquence Polémique, qui devoient, difoit-on, être leurs modèles; le foir ils alloient au Théâtre entendre d'autres Maîtres d'Eloquence, modèles de toutes les nations dans l'art divin d'émouvoir & d'attendrir.

Parmi leurs compagnons dans ces travaux pénibles & dans ces plaifirs touchans, leurs cœurs fe diftinguèrent d'abord ; ils eurent l'un pour l'autre cet attrait que Montagne a fi bien exprimé; chacun d'eux pouvoit dire : Je l'aimai, parce que c'étoit lui, parce que c'étoit moi.

On admiroit dès-lors dans M. de Belloy

parmi tant d'autres avantages, foit naturels, foit acquis, une connoiffance du Théâtre au deffus de fon âge, & qui supposoit des réflexions profondes, jointes à un fentiment exquis; mais fes études & fes projets à cet égard étoient un fecret, même pour l'amitié on verra bientôt la raison de cette réserve.

Le goût des Lettres & une forte de conformité dans la fituation de ces deux amis, formoient entr'eux des liens particuliers. Deftinés tous deux au Barreau fans leur aveu & par des arrangemens de famille, les Lettres venoient fans ceffe s'offrir à eux avec tous leurs charmes. L'ami de M. de Belloy étoit plus heureux & plus libre ; que dis-je ? moins libre.au contraire: tandis que M. de Belloy n'obéiffoit qu'à des ordres, cet ami obéissoir à des voeux tendres & paternels, qui n'avoient que fon bonheur pour objet, & qu'il voyoit toujours prêts de céder à des répugnances qu'il ofoit d'autant moins laiffer voir. Devenu plus libre par le plus grand des malheurs qui foient dans l'ordre commun de la nature, par la perte des parens qui pouvoient préfider à fon fort, il ofa, fur la foi de fon goût pour les Lettres, fe livrer uniquement à elles, & renoncer peut-être à la fortune.

Pendant qu'il détachoit fa chaîne d'une main timide & irréfolue, M. de Belloy avoit

brifé la fienne d'une main ferme & hardie, trop hardie, fans doute, c'est le feul tort qu'il ait eu dans fa vie ; il l'a fait oublier, & s'en est toujours fouvenu.

par

Pourquoi diffimulerois-je ici une faute connue, une faute excufée, ennoblie même les circonftances, expiée par des travaux glorieux, une faute dont il faut moins le blâmer que le plaindre, & qui n'ayant privé autrefois ni de gloire ni de considération un Académicien célèbre, fembloit encore affoiblie par cet exemple, qui ne contribua pas peu à déterminer M. de Belloy?

Il fe flatta que les raisons ou les préjugés qui flétriffent chez nous l'état qu'il alloit embraffer comme fa feule reffource, auroient moins de force chez les étrangers, & il eut le courage de s'expatrier, pour dérober du moins fa faute aux regards de fes concitoyens.

Il voulut en épargner le défagrément à sa famille, par un changement de nom, & ce fut alors qu'il fe déguifa fous ces noms de Dormont de Belloy, dont le dernier, qui lui eft resté, est depuis devenu fi célèbre ; il pria fes parens de l'oublier, de le mettre au rang des morts:

» Je volerai dans vos bras, leur écrivoit-il, fi

"

jamais je redeviens digne de vous. «

Pour cultiver les Lettres, pour quitter feulement le Barreau, il falloit qu'il s'arrachât de T. 1.

la maifon de fon oncle; c'étoit perdre fans retour les bontés, & fe dévouer à fa haine. M. de Belloy chercha les moyens de remplacer ses bienfaits, de ne devoir plus rien qu'à luimême, d'affoiblir, en fuyant, cette injufte haine, & d'en éviter les coups; il crut trouver toutes ces reffources, dans la refsource extreme, mais unique qu'il embraffoit en gémisfant.

Il faut qu'on fache au moins tout ce que. les Lettres lui ont coûté, quelle fut la pureté,. la fainteté de fon amour pour elles. Irriter, & qui plus eft, affliger un bienfaiteur, tromper. fes voeux & fes efpérances, avoir à fes yeux & aux yeux du public le procédé d'un ingrat, n'avoir que le Ciel pour témoin de fa reconnoiffance & de fa douleur, fuir tous les objets. de fon affection, quitter fa patrie, fans même en choisir une autre, fans favoir quelle fera la durée de cet exil, ou fi même il doit avoir un terme ; voilà le malheur dont M. de Belloy. a mérité d'être plaint; voilà les facrifices qui déchiroient fon coeur.

Je ne compte point parmi ces facrifices celui d'une espérance, qui ne fe feroit pas offerte en vain à la cupidité d'un autre.. Dans le temps où il s'exerçoit à la profeffion d'Avocat, il avoit eu le bonheur d'être utile à Madame la Comteffe de Jonchères, fa tante

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