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FABLES PERSANES*.

FABLE

Ire.

Le Renard, le Loup, & le Chien de Berger.

UN renard s'étoit arrêté à l'entrée d'une route ; il voit venir à lui un dogue: & un loup avide, qui cheminoient ensemble, en amis, en bons compagnons, fans aucun foupçon, fans crainte réciproque. Le renard les falue, les aborde; & après les complimens d'ufage, il leur dit » Graces aux dieux, » votre haine invétérée fait place à l'a

Ces fables font traduites de l'Anthologie perfane, ouvrage publié en 1778 par l'Acadé mie des langues orientales à Vienne, & dédié à Marie-Thérèfe, reine de Hongrie.

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» mitié, une éternelle paix va fuccéder » à vos anciennes querelles! Mais ne puis-je favoir la caufe de cet heureux » changement? Une haine commune » pour les bergers nous unit aujour » d'hui, répond le dogue. La caufe de » cette inimitié qui divife de tous les » temps le loup & le berger, eft affez » connue. Voici d'où naît mon reffen»timent particulier. Ce loup, aujour❤ » d'hui mon ami, tomba hier fur le troupeau, et enleva un agneau. Je » cours après lui, felon ma coutume; je me prépare à lui ravir fa proie mais je ne puis l'atteindre: à mon retour le berger m'a cruellement dé❞ chiré de coups, fans aucun fujet. Dès» lors j'ai rompu les nœuds de l'amitié » que j'avois pour lui, & je me suis » uni à fon implacable ennnemi. «‹

N'offenfez pas votre ami, de peur que, dans fa colère, il ne fe joigne à votre ennemi pour vous détruire.

FABLE I I.

Le Chameau & le Buiffon.

UN chameau paiffoit dans un champ : il y mangeoit les chardons & les arbriffeaux. Il fe trouva près d'un buiffon, jeune, coquet, aimable & d'un extérieur intéreffant. Le chameau avançoit avidement le cou pour en prendre une part, quand il apperçut une couleuvre qui l'entouroit comme un anneau. Auffitôt il renverse la tête jufqu'à la queue, recule, & laiffe ce mets qu'il avoit defiré. Le buiffon s'imagina que la crainte de fes piquans lui infpiroit cette abftinence timide, qu'il avoit peur de fes épines. Le chameaut foupçonnant cette idée, lui dit: » Je

crains un ennemi caché: je brave >> celui qui marche à découvert : je ne » redoute point tes épines, mais les dents meurtrières de la couleuvre.

» Sans cet animal terrible, mon pauvre » ami, je n'aurois fait de toi qu'une » bouchée. «

Il n'eft point étonnant que l'homme de bien craigne le méchant : c'eft fon ame qu'il redoute, & non pas fon enveloppe. Quand quelqu'un n'ofe mettre le pied fur un monceau de cendre, c'est qu'il a peur du feu qu'elle recèle.

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Le Chien & le Pain.

UN chien affamé fe tenoit aux portes d'une ville: il en vit fortir, en roulant, un morceau de pain qui gagna la campagne. Le chien le fuit, court, veut arrêter fa fuite, & lui crie: » Oh! force » du corps! nourriture des voyageurs! » defir du cœur ! paix de l'ame! où vas» tu? quel eft l'heureux mortel que tu » cherches?« J'ai pour ami dans ce défert, répondit le morceau de pain, » des » loups affamés & des tigres féroces; » je vais leur rendre vifite. En vain tu » veux m'épouvanter, reprend le chien ;; » entre dans la gueule du crocodile ou » du lion, je m'y précipite après toi. «

Ceux qui ont befoin de pain, fervent les plus petits de bonne grace pour avoir cette nourriture ; comme ce chien affa mé, ils courront après elle au travers. de mille coups.

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