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EXTRAITES des voyages de M. FOERSECH, Hollandois.

J'AVOIS long-temps douté, je l'avoue, de l'existence de l'arbre-poifon, que les Malays nomment bohon-upas, jufqu'au moment où des recherches plus exactes m'ont convaincu de mon erreur. Je fis en 1774 quelque féjour à Batavia; j'étois alors chirurgien au fervice de la com

pagnie Hollandoife des Indes orientales; j'y entendis fouvent parler du bohonupas, & des violens effets de fon poifon; tout ce qu'on m'en difoit me paroiffoit incroyable; ma curiofité s'accrut au point que je réfolus d'examiner la chofe attentivement, & de ne m'en rapporter qu'à mes propres obfervations. Je demandai un paffeport à M. PetrusAlbertus vander Parra, gouverneur général; je l'obtins; &, après avoir pris le plus d'informations qu'il me fut pof fible, je partis pour mon expédition. J'avois reçu d'un prêtre Malay des lettres de recommandation pour un autre prêtre qui habitoit le plus près poffible du lieu où croît l'arbre-poifon : ces lettres me furent très utiles. L'empereur avoit placé là ce prêtre pour préparer les ames de ceux que leurs crimes avoient fait condamner à s'approcher de cet arbre, & rapporter le poifon qui en découle. Le bohon upas croît dans l'île de

Java, à environ vingt-fept lieues de

Batavia, à quatorze de Soura Charta, féjour de l'empereur. Cet endroit eft entouré de collines & de hautes montagnes, & les champs qui l'environnent, à dix ou douze milles de diftance, font abfolument ftériles. J'en ai fait le tour à huit milles de diftance du centre, ou à peu près, & l'afpe&t des campagnes m'a paru par-tout également effrayant. Le prêtre Malay habite dans l'endroit de la montagne où le chemin eft plus facile; c'eft de chez lui que les crimi nels partent pour aller chercher le poifon dans lequel on trempe la pointe de toutes les armes guerrières: ce poison eft fort cher, & produit à l'empereur un revenu confidérable.

C'eft une gomme qui coule de l'écorce ou du bois même. Les criminels condamnés à la mort, font les feuls qui l'aillent recueillir: après que leur fentence leur a été prononcée, ils peuvent choifir, ou de périr par la main du bourreau, ou de tenter de rapporter une

boîte du poifon de l'upas; ils acceptent ordinairement la dernière propofition: outre l'efpèce d'efpérance qu'ils ont de fauver leur vie, ils font fûrs, s'ils reviennent, d'être toujours nourris aux dépens de l'empereur; ils peuvent auffi lui demander une grace, que fouvent il leur accorde. On leur donne une boîte. d'argent ou d'écaille de tortue, & on les inftruit de la manière dont ils doivent fe conduire dans cette dangereule expédition; on leur recommande d'aller avec la plus grande vîteffe, & de faifir le. temps où le vent chaffe devant eux les émanations de l'arbre; on les envoie. enfuite à la maison du prêtre, où leurs & leurs amis les accompagnent; parens ils y demeurent ordinairement quelques jours en attendant le vent favorable: pendant ce temps-là, le prêtre les prépare à tout événement par des avis & & des prières.

Au moment du départ, il leur couvre la tête d'un bonnet de peau qui leur

defcend jufqu'à la poitrine : ce bonnet a des yeux de verre. Il leur donne auffi des gantsTM de peau; alors il les accompagne jufqu'à la diftance de deux milles avec leurs parens & leurs amis ; il leur répète fes inftructions, leur indique où ils trouveront les arbres; il leur montre une colline qu'ils doivent monter; derrière cette colline est un ruiffeau dont le cours doit les conduire dire&ement aux upas ; ils fe difent enfin adieu, &ces malheureux partent rapidement, pendant qu'on prie Dieu & Mahomet pour leur retour.

Ce bon prêtre m'affura, que depuis près de trente ans qu'il habitoit ce lieufauvage, il avoit envoyé environ sept cent criminels, de la manière que je viens de décrire, & qu'il n'en étoit revenu que vingt-deux. Il m'en fit voir la lifte avec le jour de leur départ, & le détail de leurs crimes; il y joignit celle de ceux qui étoient revenus, & ces liftes fe trouvèrent parfaitement conformes à celles que je vis depuis à Soura-Charta.

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