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J'affiftai à quelques-unes de ces triftes cérémonies; j'aurois defiré que quelqu'un de ces criminels m'eût apporté un morceau du bois, ou quelques branches, ou au moins des feuilles de cet arbre fingulier; je leur donnai auffi une corde de foie pour en mefurer la groffeur; mais je ne pus me procurer que deux feuilles fèches, qui me furent apportées par le feul que je vis revenir; tout ce que je pus apprendre de l'arbre même, c'eft qu'il croît fur le bord du ruiffeau indiqué par le prêtre, qu'il eft d'une taille médiocre, entouré de cinq ou fix jeunes arbres de fon efpèce, & qu'on ne voit près de lui aucune plante, aucun arbriffeau. La terre qui le produit eft brunâtre, pleine de cailloux, & couverte de débris de cadavres. Je questionnai le vieux prêtre Malay fur l'origine de la découverte de cet arbre. Voici ce qu'il me répondit : » Il n'y a pas plus de cent ans que » ce pays étoit habité par un peuple qui

» fe livroit aux iniquités de Sodome & de Gomorrhe. Mahomet ne voulut pas » fouffrir plus longtemps ces mœurs » abominables ; il engagea l'Eternel à les » punir Dieu fit fortir de terre lebohonupas qui détruifit les coupables, & » rendit lepays à jamais inhabitable. «<

Je n'entreprendrai pas de commenter cette opinion; j'obferverai feulement que les Malays regardent cet arbre comme l'inftrument de la colère du prophète, & que la mort qu'il procure, paffe chez eux pour honorable; voilà pourquoi les criminels qui vont chercher le poison, font en général vêtus de leurs plus riches habits.

Il eft certain, quoique cela paroiffe incroyable, qu'on ne trouve aucune créature vivante à cinq ou huit milles de distance de l'arbre. On affure que les eaux n'y nourriffent aucun poiffon; qu'on n'y trouve ni rats, ni fouris, ni vermines; que les oifeaux qui s'approchent trop près de ces arbres, font atteints

par

fes émanations, tombent & périffent; des criminels, dans leur retour, en ont vu tomber à leurs pieds, & en ont apporté au vieux prêtre Malay.

Je vais rapporter un exemple qui met ce fait hors de doute; il arriva pendant mon féjour à Java.

En 1775 quelques fujets du Marray, prince fouverain, dont la dignité est prefque égale à celle de l'empereur, fe révoltèrent, & refufèrent de payer la taxe qu'il leur impofoit; il- envoya des troupes pour difperfer les rebelles, & les chaffer de fes états avec leurs familles. Ils furent obligés de quitter leur patrie au nombre de feize cens. L'empereur & le fultan refufèrent de les protéger, parce qu'ils étoient rebelles, & de peur de déplaire au Marray leur voifin. Ces infortunés n'eurent d'autre reffource que de se retirer dans les lieux inhabités qui entourent le bohon-upas. Ils demandèrent à l'empereur la permiffion de s'y établir; il la leur accorda, fous condi

tion qu'ils ne fe fixeroient pas à une diftance plus éloignée de l'arbre que celle de douze ou quatorze milles, afin de ne pas priver les habitans, qui occupoient les terres plus éloignées, des champs qu'ils avoient cultivés. Ces rebelles furent obligés de fe foumettre à cette loi. Au bout de deux mois leur nombre étoit déja réduit à trois cens; les chefs de ceux qui reftoient furent trouver le Marray, lui contèrent leurs pertes, & demandèrent leur pardon; il les reçut comme fes fujets. J'eus occafion de voir, après leur retour, quelquesuns de ceux qui avoient furvécu ; ils paroiffoient atteints d'un mal peftilentiel; leur teint étoit pâle; & d'après le récit qu'ils me firent de la mort de leurs compagnons, & des circonstances qui l'avoient accompagnée, je fus pleinement convaincu qu'ils avoient été les victimes de ce poison.

Ses violens effets à une fi grande distance de l'arbre, paroiffent furprenanş

& incroyables, fur-tout quand on confi'dère qu'il eft poffible que quelques-uns de ceux qui l'approchent reviennent vivans. Les obfervations fuivantes ont, en grande partie, diminué mon étonne

ment.

J'ai déja dit qu'on inftruifoit les criminels à fuivre, en allant, la direction du vent, & à revenir contre cette même direction. Quand le vent foufle toujours du même point, pendant le temps néceffaire, au coupable, pour faire trente ou trente-fix milles, s'il eft d'une bonne conftitution, il peut furvivre au danger; mais la conftance des vents n'eft pas de longue durée dans ces climats; il n'y a pas de vent de terre régulier ; & ceux de mer ne s'y font pas fentir, à caufe de l'éloignement du lieu, & des & des montagnes & des forêts qui l'entourent.

Les vents frais n'y fouflent pas régulièrement, mais communément il n'y règne que des courans d'une brife douce & foible, qui paffent à travers les

gorges

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